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érigea Anvers en entrepôt franc où les marchandises destinées soit au transit en Belgique, soit à la réexportation par mer, pourraient entrer, stationner, circuler, sans être soumises au déballage et à la vérification de détail. Anvers se trouvait ainsi transformé en une sorte de bazar européen où les produits de toutes les nations voisines, ceux de la Grande-Bretagne au premier rang, viendraient compléter les chargemens des navires belges, ce qui diminuait d’autant la part déjà si réduite des manufacturiers nationaux dans ces envois transatlantiques dont la perspective les avait ralliés aux armateurs. Les récriminations éclatèrent dans le camp industriel ; mais les armateurs étaient forts : c’est en eux que reposait le dernier espoir de l’émancipation belge, comme on disait toujours. Quinze jours après, ils obtenaient encore le retrait de l’exception faite par la loi des droits différentiels en faveur des cafés et des tabacs importés de Hollande. Cette fois, les manufacturiers allaient prendre leur revanche.

Encouragée par l’exemple de la Prusse, dont les premières représailles avaient forcé la main à la Belgique, la Hollande doubla les droits sur environ cinquante articles belges, entre autres, les fers, la houille, les tissus de laine, de coton et de lin, et surtaxa la sortie des céréales, des Pays-Bas. Atteintes et dans leurs exportations et dans les subsistances de leurs ouvriers, toutes les industries belges, toutes cette fois, se coalisèrent contre les armateurs. La batellerie de la Meuse, qu’alimente principalement le transit hollando-belge, et qui représente à elle seule un tonnage environ sept fois plus fort que les armemens de tous les ports maritimes ensemble, apporta dans la lutte un élément jusque-là méconnu, et, moins d’un mois après le début des hostilités, le gouvernement belge en était réduit à solliciter la clémence des Pays-Bas. Le cabinet de La Haye s’est fait prier six mois entiers. Un traité enfin a été conclu, qui détruit les dernières illusions des armateurs anversois. En retour de concessions importantes aux principales industries belges, les pavillons et les cargaisons provenant directement de l’un ou l’autre pays étaient assimilés ; l’exception au profit des tabacs originaires des pays hors d’Europe et des cafés originaires de l’Inde néerlandaise était rétablie ; les droits étaient réduits sur toutes les autres denrées coloniales importées en Belgique des Pays-Bas. La Hollande accaparait, en un mot, le monopole de ces mêmes transports qui devaient doter Anvers d’une marine transatlantique : le monopole, dis-je, car, si les navires belges étaient admis par le traité à exporter des colo- nies néerlandaises 8,000 tonneaux de denrées aux mêmes droits que sous pavillon national, cette concession devenait illusoire, du moment où les colonies néerlandaises restaient fermées aux provenances directes de Belgique. Anvers y perd-il ? Non : j’ai dit quels obstacles