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à refluer vers le port d’Anvers, tous étaient cette fois d’accord. Les contrebandiers, corporation occulte, mais nombreuse, sorte de quatrième pouvoir dans un pays dont une seule ligne de douanes détend les frontières plates et nues, faisaient le dessus à l’enthousiasme commun. Les esprits pratiques eux-mêmes, ceux qui ne jugeaient pas la Belgique capable de se suffire, voyaient dans le nouveau système un expédient, un moyen sûr d’acheter plus tard, par des exceptions habilement ménagées, les faveurs douanières des pays voisins. Bref, la loi des droits différentiels eut pendant huit jours un succès complet. On n’attendait, pour se débarrasser définitivement de la Hollande, que le retour des premiers galions anversois. La Prusse, on ne daignait pas en parler ; la France, qu’il fallait bien tolérer deux ans encore, n’excitait que le sourire. Et dans le camp des catholiques, et dans le camp des libéraux, c’était un hosanna général : — la Belgique est forte ! la Belgique est fière ! la Belgique est émancipée ! — La Belgique n’était que folle. Son industrie n’aurait certainement pas expulsé des marchés américains les produits de France et d’Angleterre, puissances de premier ordre dont l’alliance a naturellement plus de prix pour les états du Nouveau-Monde que l’alliance belge, et, quant à sa marine, réduite en Europe au seul débouché national, elle eût dû opérer à vide la moitié de ses retours : deux causes de ruine pour une, et, au bout, un aveu d’impuissance, les déboires d’une bravade manquée, la nécessité de traiter de nouveau avec les pays voisins, non plus comme ami, mais comme vaincu. Heureusement pour la Belgique, l’expérience n’a été ni aussi longue, ni aussi coûteuse, et c’est de l’Allemagne, du pays dont elle attendait le moins un acte de vigueur, que les premiers enseignemens lui sont venus.

La loi des droits différentiels votée, le cabinet belge, qui n’avait plus besoin d’acheter la neutralité de l’industrie métallurgique, dédaigna de proroger l’assimilation accordée par lui aux vins et aux soieries du Zollverein. Doublement blessée, et par ce retrait de faveurs qu’elle avait acceptées comme un gage de négociations à venir, et par la nouvelle loi, qui frappait d’un interdit déguisé ses fabrications et sa marine, la Prusse, qui n’avait plus rien à ménager, taxa les fontes belges. La surprise fut profonde à Bruxelles. La minorité libérale, qui avait fortement blâmé les faveurs accordées an Zollverein, mais qui découvrit tout à coup dans la cessation de ces faveurs, sous l’empire de la convention du 16 juillet, l’indice de tendances françaises, s’associa aux récriminations, aux menaces des maîtres de forge de Liège et de Charleroy. Le gouvernement belge n’osa pas braver cette coalition, et, le 1er septembre 1844, avant même que l’arrêté complémentaire du système des droits différentiels fût rendu, il concluait avec la Prusse un traité qui renversait les deux bases de ce système.