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et, quand les communes adressent leurs vœux au synode, le roi se fâche et gourmande. En toutes choses il est besoin du temps pour que la pensée s’asseoie, et, si solide qu’on la suppose, elle n’est rien sans lui. C’est faiblesse peut-être, mais c’est sagesse et vérité de répondre comme faisait un membre du synode à ceux qui lui reprochaient de déserter la confession d’Augsbourg : « Rassurez-vous, nous attendrons encore avant de vous donner une confession de Berlin. » Il y avait déjà des siècles que la vieille mythologie comptait parmi les fables, quand on rédigea le symbole de Nicée.

Du milieu de ces contradictions, du fond de ces trop visibles embarras apparaîtra-t-il maintenant quelque expédient nouveau qui doive tout concilier les idées et les personnes ? ou bien quelque main, vigoureuse ramènera-t-elle décidément en arrière les intelligences qui se pressent en foule vers ces portes étroites par où s’ouvre l’avenir ? ou bien enfin ces intelligences suivront-elles leur voie jusqu’au bout, et cette voie est-elle assez large pour les contenir assez solide pour les porter, et pour les nourrir assez féconde ?

Je ne me fie point à la durée des moyens termes ; je ne m’effraie pas de la puissance des réactions, mais surtout je ne crois point que la force dépensée par l’esprit humain depuis un siècle soit une force perdue, et qu’il ait marché si long-temps sur un même sentier pour trouver au bout un abîme. Il y a dans la vie sociale un éternel progrès qui répand et vulgarise, les idées salutaires ; ce ne sont pas nécessairement les individus qui se font plus grands ou meilleurs, ce sont les idées qui descendent en quelque sorte de leur piédestal et se rendent accessibles. Il a fallu l’immortel génie de Descartes pour découvrir les usages de l’algèbre, il suffit aujourd’hui d’un écolier pour le savoir. De même aussi les ames héroïques sont de tous les temps ; mais la plus belle récompense qu’elles aient chacune dans le leur, c’est de mettre en circulation l’exemple des vertus où elles ont excellé, de manière à les insinuer, comme par nature, dans la constitution morale des générations qui leur succèdent. Telle règle pratique dont l’origine fut un effort, sublime n’est aujourd’hui qu’une habitude légale. C’est ainsi qu’il peut arriver qu’il y ait en somme plus de justice ou de charité dans un âge que dans l’autre, sans que les cœurs soient eux-mêmes plus parfaits. La personne humaine ne change guère ; par son caractère intime, par tout ce qu’il a chez lui de propre et de spontané, l’homme d’à présent ressemble beaucoup à l’homme des anciens jours ; il n’est plus riche que de cette richesse qu’il puise au domaine commun. Cet accroissement perpétuel du domaine commun de l’espèce, cet exhaussement continu du niveau général, voila l’œuvre de la société : autrement à quoi servirait-elle ?