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et de ses amis : on les protégeait, on les défendait d’un peu haut, on s’attaquait à leurs adversaires, sans précisément les avouer eux-mêmes ; on faisait cause commune, mais lit à part. cela se vit au mieux quand on essaya d’organiser à Berlin une démonstration analogue à celles de Coethen ou de Halle. Le 1er août, quelques Amis protestans s’étaient donné rendez-vous dans un jardin public pour y délibérer sur la création d’une société de lecture et rédiger un manifeste en faveur de Wislicenus : c’était jour de concert ; on se félicita beaucoup de se toruver au nombre de cinq cents : les chemins de fer de la Saxe avaient amené jusqu’à des milliers de personnes dans la petite ville de Coethen. On débita des discours, et l’on donna lecture d’une déclaration. Signa qui voulut ; beaucoup, à ce qu’il paraît, signèrent à l’aventure. C’était purement une protestations contre un certain parti qui, fort de son crédit, trouble les consciences, impose une hypocrisie destructive de toute moralité persécute ceux dont l’opinion n’est pas la sienne, et veut les traiter comme sectaires. » Huit jours après, encouragés par ce succès équivoque, les Amis berlinois s’étaient encore réunis. On attendait M. Uhlich, qu’on avait tout exprès invité à présider la séance, malheureusement on avait compté sans la police et sans le consistoire : M. Uhlich écrivit qu’on lui défendait de quitter sa paroisse ; et un magistrat vint sur les lieux interdire toute allocution publique, interdire même de lire à haute voix la lettre du ministre ainsi mis aux arrêts. On se la passa de main en main, se récriant fort, s’indignant, s’exaspérant ; puis on s’assit en face d’un verre de bière, suivant la bonne habitude (bei einem Glase Bier), et des causeries aux chansons, des chansons au tapage, on alla si vite en besogne, que tout cela finit assez misérablement. Survint bientôt l’ordonnance qui proscrivait les assemblées populaires, et les Amis protestans ne trouvèrent plus d’occasion de se réhabiliter un peu dans l’esprit du public berlinois. Leur déclaration n’impliquait aucune question de doctrine, juifs, catholiques, réformés, vieux luthériens, tous pouvaient adhérer sans compromettre leur persuasion propre : les adhésions manquèrent ; beaucoup reprirent publiquement la leur, ceux-ci parce qu’ils redoutaient la responsabilité qu’elle leur eût attirée, ceux-là parce que l’affaire tournait au ridicule. On eut grand’peine à ramasser seize cents signatures ; il y avait dans le nombre force dames, et demoiselles, malgré le proverbe : Mulier taceat in ecclesia ; des tapissiers « heureux de voir poindre l’aurore de la liberté spirituelle, » des ferblantiers qui dans leur paraphe inséraient pour devise : «  O raison ! ô nature ! inséparable lien ! » Bref, ce furent toutes les misères où viennent se noyer, en d’autres pays, les souscriptions avortées du patriotisme quand même. La tentative si féconde, si vigoureuse en Saxe, échouait ici faute de souffle et de sérieux ; le vrai Bénin n’avait pas dit son mot.

Au milieu même de cette agitation qui faisait événement, sans pourtant