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l’état dans la personne même du prince, et sanctifie, et sanctifie ainsi toute la machine jusqu’en ses derniers ressorts. Le prince à la charge de l’église comme premier membre de la communauté religieuse et non comme souverain politique ; il est le premier lié par les canons et les symboles ecclésiastiques ; bien loin de séculariser les choses de Dieu, c’est lui qui entre en cléricature avec son sceptre et sa couronne ; il est vraiment ordonné d’en haut, et il est aussi de l’ordre de Melchisedech. – Admirable raisonnement de ces habiles dévots qui se trouvent tout ensemble des ultra-royalistes et, je dirais presque à leur manière, des ultramontains ! C’est merveille de retourner ainsi l’histoire. Le grand-maître des teutoniques, le margrave Albert de Brandebourg ; qui s’avisa de prendre femme en 1525 et dépouilla bravement ses chevaliers au profit de sa future dynastie, n’avait donc pas alors d’autre idée que de renforcer encore son caractère ecclésiastique ! L’eût-on jamais pensé, M. Hengstenberg a découvert cela dans les articles de Smalkalde ; aussi le procédé du margrave ne déconcerte pas sa piété, et les souverains protestans de la Prusse moderne lui semblent les successeurs naturels de ces moines-soldats dont ils ont si brusquement hérité. La vocation religieuse de la monarchie prussienne commence pour lui avec la conversion sanglante des sauvages Prussiens du XIIIe siècle, et, supputant, dans une assez bizarre addition, les services rendus au pape, les bons offices prêtés à Luther, le docte théologien nous contesterait presque le titre de roi très chrétien pour en décorer la Maison de Brandebourg. Il est convenu maintenant que ce sont les évêques qui ont fondé le royaume de France et il faut être un mal pensant pour croire encore qu’on les ait aidés : les piétistes berlinois n’entendent pas rester en arrière de nos piétistes français, et décernent un honneur de même espèce aux teutoniques et aux porte-glaive. Ceux-là certes ont bien fondé la Prusse, et le sabre à la main, mais ce n’était probablement pas pour qu’elle devînt luthérienne ni même évangélique.

C’est du reste une justice à rendre à ces nouveaux réformateurs de la réforme, ils épurent leurs origines tant qu’ils peuvent et rivalisent de zèle avec nos catholiques ardens contre cette chose athée qu’on appelle l’état civil. La question des mariages mixtes avait été une belle occasion d’héroïsme pour le clergé rhénan ; certains ministres de la Marche ont inventé la pareille. On sait que la loi prussienne autorise le divorce, et l’on ne doit point hésiter à reconnaître qu’avant l’ordonnance du 28 juin 1844 elle le permettait encore avec une facilité regrettable ; mais cette ordonnance, inspirée par les high-churchmen de l’évangélisme, ne serait, dit-on, que le prélude de mesures plus radicales destinées à l’abolition complète du divorce même : on verrait ainsi les intrépides conservateurs de l’antiquité protestante l’abandonner avec éclat sur l’un des points qu’elle ait eus le plus à cœur, et récuser