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eût fini de la graver dans les institutions. L’école théocratique a hautement prétendu que c’était enlever Dieu de l’état, de l’histoire et du monde que de ne pas croire au règne immuable du péché, à l’absolue nécessaire de la souffrance, à la grace cruelle du sang répandu. Ces implacables logiciens d’un mysticisme sans tendresse se sont rendus les apologistes de toutes les ignorances et de toutes les misères ; pour mieux insulter une société qui ne voulait relever que de la raison, ils ont osé le panégyrique de l’échafaud ; en haine des faits nouveaux, ils ont proclamé partout le fait ancien comme le droit et la vérité, jetant l’anathème à tout ce qui n’était pas l’autorité sans contrôle et l’obéissance sans réserve. Qu’il y ait eu d’abord je ne sais quelle sombre grandeur dans cette ardente protestation d’une doctrine contre un siècle, ce n’est pas la peine de le nier ; mais combien de spéculateurs religieux ou politiques l’ont depuis transformée en expédient de domination ! Combien ne s’est-il pas taillé d’habits étriques et de costumes de comédie dans le majestueux manteau dont s’enveloppait de Maistre ! Le professeur Hengstenberg, ce zélé défenseur d’une église bâtarde issue de deux hérésies, n’était certes pas le moins singulier combattant dans cette armée de toutes couleurs qui s’est rangée derrière l’auteur du Pape. La science allemande venait même, avec un merveilleux à-propos, se rattacher ici aux théories ultramontaines, et, par un étrange assemblage, le fougueux protestant se rapprochait d’autant plus du radicalisme catholique qu’il était plus hardi philosophe : philosophe à la façon d’Adam Müller qui parquait les peuples comme des troupeaux, à la façon de Steffens qui trouvait une distinction de nature entre le noble né pour jouir sans travailler et le paysan né pour travailler sans jouir, à la façon de Goerres qui comparait l’état à l’arbre et lui voulait une sorte de végétation systématique d’où sortît fatalement une hiérarchie sociale comme le feuillage pousse sur la branche et la branche sur le tronc. La Gazette évangélique s’est ouverte à toutes ces exagérations d’une métaphysique trompeuse, conséquences extrêmes de ce grand revirement qui porta jadis les esprits de Fichte à Schelling. Elle en a reproduit la pensée, mais en la noyant dans les détails d’une critique quotidienne ; elle a réduit ce qu’il pouvait y avoir là d’imposant aux mesquines proportions d’un journal ; elle a fait de la polémique de rencontre avec cet amalgame de paradoxes où l’on apercevait du moins dans l’origine, la touche du génie. C’est ainsi pourtant que la faction qu’elle représente a prêché non sans succès la cause conjointe des religions d’état et des gouvernemens forts, parlant en Prusse comme aurait pu parler le despotisme autrichien daignait raisonner, raisonnant, comme il arrive en France à certaine coterie cléricale, quand elle oublie son libéralisme de commande pour affecter des airs de profondeur.

Il est, en effet, assez piquant de retrouver dans les prétentions affichées