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pure, s’il avait témoigné parfois un peu brutalement ses inclinations, c’était pour le bien des ames, sans arrière-pensée d’affermissement politique. Ainsi par exemple, à la mort de Frédéric, la cour de Prusse changea de conduite, et Frédéric-Guillaume II, cédant à son ministre Wollner, publia l’édit de religion de 1788, véritable arrêt de proscription contre les libres penseurs. « : Le monarque, y disait-on, bien avant de monter sur le trône, avait eu la douleur de voir que beaucoup d’ecclésiastiques de l’église protestante s’arrogeaient une licence effrénée dans leur enseignement confessionnel, qu’ils réchauffaient et répandaient les erreurs des sociniens, déistes, naturalistes et autres sectes semblables. Or, le premier devoir d’un prince chrétien, c’était de maintenir la pureté de la religion chrétienne suivant la lettre de la Bible et la foi des diverses communions exprimées dans leurs différens symboles. » Quel était donc le motif de cette stricte obligation si hautement acceptée ? la sûreté de l’état ou quelque grande nécessité de politique humanitaire ? Non ; mais simplement on voulait empêcher « que la multitude du pauvre peuple ne fût livrée en proie aux expériences des maîtres à la mode, et que des millions de fidèles sujets ne fussent dépouillés, de la paix, de leur vie et de leur consolation au lit de la mort. » Plus tard, quand Frédéric-Guilaume. III, se mêlant aussi de religion, fondit les deux églises de la Prusse en une seule et organisa l’établissement évangélique, il obéissait au besoin de simplification si naturel dans un gouvernement absolu en même temps qu’il suivait certaines tendances philosophiques auxquelles il ne renonça que très tard, si jamais il y renonça ; il poursuivait sa réforme administrative et il reprenait une idée de Leibniz. Il ne faut point oublier que Frédéric-Guillaume III était le prince qui écrivit ces belles paroles justement quand il défit l’édit de 1788 et le ministère de Wöllner : « La religion est et doit rester la chose du cœur, du sentiment, de la conviction particulière, et l’on doit éviter toute contrainte méthodique qui la réduirait à n’être plus qu’un bavardage sans pensée ; la raison et la philosophie sont ses compagnes inséparables. »

Rien donc dans ces rapports antérieurs de l’église prussienne et de l’état prussien, rien ne montre qu’on ait considéré comme un danger pour l’un les dissidences qui pouvaient se produire chez l’autre, et le libre examen ne semblait pas jusque-là l’infaillible ennemi de la paix publique. M. Hengstenberg et ses amis allaient révéler ce péril nouveau, découvert par une science nouvelle.

L’esprit moderne, la foi que nous a léguée le XVIIIe siècle, c’est la foi de Condorcet annonçant encore l’éternelle amélioration des destinées humaines au matin du jour où sa vie allait être tranchée par le fer du bourreau. Il n’a pas manqué de contradicteurs pour démentir cette sublime assurance, et l’on a vu toute une école de publicistes et de philosophes s’inscrire en faux contre la loi, du progrès avant même qu’on