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Goodall, qui servait en 1795 sous l’amiral Hotham ; sir Roger Curtis, qui eût pu lui envier, comme sir John Orde et sir William Parker, le commandement de son escadre ; tous ces amiraux, qui voyaient en lui un élève ou un rival, s’empressèrent d’unir leurs félicitations à celles que lui adressaient de toutes parts les souverains étrangers et les ennemis de la révolution française[1]. Collingwood vint y joindre le touchant suffrage de sa vieille et fidèle amitié. Il était encore devant Cadix, éloigné depuis plus de trois ans d’une famille qu’il adorait, maudissant ce blocus inactif qui l’avait privé d’assister au combat d’Aboukir, mais toujours prêt à sacrifier à son pays ses goûts, son repos et les plus chères inclinations de son cœur.


« Je ne saurais, mon cher ami (écrivait-il à Nelson), vous exprimer toute la joie que j’ai éprouvée en apprenant votre complété et glorieuse victoire sur l’armée française. Jamais on n’en a remporté de plus décisive, de plus importante par ses conséquences. Graces soient rendues à la divine Providence pour la protection dont elle vous a couvert au milieu de tant de dangers ! Mon cœur en est pénétré de reconnaissance, car ce n’est point sans péril qu’on accomplit de si grandes choses… Je déplore bien sincèrement la mort du capitaine Westcott[2] : c’était un homme de bien et un brave officier, mais, s’il dépendait de nous de choisir une occasion pour sortir de cette vie, qui pourrait souhaiter un plus beau jour, un jour plus mémorable que celui dans lequel il a succombé ! »


Le ministère anglais sembla seul rester en arrière au milieu de cet entraînement général. En entrant dans la baie d’Aboukir le 1er août 1798, Nelson avait dit aux officiers qui l’entouraient : « Demain, avant cette heure, j’aurai le mérite la pairie ou Westminster » Il obtint la pairie, mais le combat de Saint-Vincent avait valu à l’amiral Jervis le titre de comte et une pension de 3,000 liv. sterl. ; Duncan avait gagné celui de vicomte et une pension semblable devant Canperdown ; Nelson nereçut pour prix de sa victoire que Le titre de baron, et une dotation de 2,000 livres réversible sur la tête de ses deux premiers héritiers mâles. Il fut créé pair sous le nom de baron du Nil et de Burnham-Thorpe. « C’est la plus haute dignité nobiliaire, lui écrivait lord Spencer, qui ait été conférée à un officier de votre grade, commandant en sous-ordre. » Cette distinction entre les services d’un commandant en chef et ceux d’un amiral investi d’un commandement temporaire avait quelque chose de misérable en présence de l’enthousiasme que cette victoire inattendue avait excité dans toutes les cours de l’Europe et des immenses résultats qu’elle laissait déjà entrevoir.

  1. « Monsieur le vice-amiral Nelson, lui écrivait Paul 1er, la victoire complète que vous avez remportée sur l’ennemi commun, et la destruction de la flotte française, sont assurément des titres trop puissans pour ne pas vous attirer les suffrages de la saine partie de l’Europe. »
  2. Commandant le Majestic à Aboukir.