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de toute leur vitesse et sans conserver leurs rangs : il se borne à leur signaler de porter leurs efforts sur notre avant-garde. Depuis long-temps, en effet, il a été convenu entre lui et ses capitaines que ce serait la le mode d’attaque adopté : écraser la tête de la ligne française avec des forces supérieures, et ne songer à l’arrière-garde que lorsque l’avant-garde aura été réduite ; tel est le plan qu’en 1794 avait conçu lord Hood, quand il menaçait l’amiral Martin embossé sous les batteries du golfe Jouan, plan que Nelson aujourd’hui veut exécuter. L’intelligence du capitaine Foley y apporte sur le terrain même une modification heureuse. Il se souvient de ce mot de Nelson : « Partout où un vaisseau ennemi peut tourner sur ses ancres, un des nôtres peut trouver à mouiller.. » Digne : du poste glorieux qu’il occupe, le capitaine Foley n’hésite pas à essayer de doubler la ligne française : à six heures quarante minutes[1] ; passant devant le Guerrier, il vient résolument mouiller à terre de ce vaisseau.

Quatre autres vaisseaux anglais, le Zealous, l’Orion, le Theseus, l’Audacious, suivent le Goliath et prennent poste successivement par le travers du Guerrier, du Conquérant, du Spartiate, de l’Aquilon et du Peuple-Souverain. Nelson mouille le premier en dehors de notre ligne d’embossage. Le Vanguard, sur lequel flotte son pavillon, exposé au feu du Spartiate, que commande le brave capitaine Emériau, éprouve bientôt des pertes considérables. Nelson lui-même est atteint d’un biscaïen à la tête. Les vaisseaux le Minotaur et le Defencc arrivent à propos pour soutenir le Vanguard. Cinq vaisseaux français supportent en ce moment tout l’effort de huit vaisseaux anglais[2], tandis que le centre de notre ligne, où le vaisseau à trois ponts l’Orient, que monte l’amiral Brueys, s’appuie sur deux vaisseaux de 80, le Franklin et le Tonnant, le centre n’a point encore eu d’ennemis à combattre. C’est cependant la le point fort de l’armée française. Le premier vaisseau anglais qui s’aventure sous la volée de l’Orient, le Bellerophon, vaisseau de 74, commandé par le capitaine Darby, a perdu en moins d’une heure deux de ses bas-mâts et a eu 197 hommes mis hors de combat. Il coupe son câble et va se réfugier vers le fond de la baie. En ce moment, accablée

  1. Un peu avant six heures suivant le rapport du contre-amiral Blanquet-Duchayla. Presque tous les rapports anglais ou français que nous avons consultés offrent un remarquable accord sur les principaux détails du combat d’Aboukir ; les divergences qu’on rencontre portent principalement sur le moment précis auquel le feu a commencé ou cessé à bord de chaque vaisseau.
  2. Les vaisseaux anglais qui combattirent l’avant-garde française se trouvèrent mouillés dans l’ordre suivant : à terre des vaisseaux français : le Zealous, par le bossoir de bâbord du Guerrier ; l’Audacious, le Goliath, le Theseus, l’Orion s’étendant depuis le Guerrier jusqu’au Peuple-Souverain ; au large des vaisseaux français : le Vanguard par le travers du Spartiate, le Minotaur par le travers de l’Aquilon, le Defence par le travers du Peuple-Souverain.