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Mouillée, depuis le 4 juillet, à Aboukir, notre escadre, qui devrait déjà s’être abritée à Corfou, puisqu’elle n’a point su trouver un port en Égypte se repose dans une sécurite funeste, elle a cessé de craindre le retour de Nelson, que déjà, ravitaillé à Syracuse, cet homme infatigable accourt en toute hâte vers elle. Dévoré d’anxiété, sans repos, sans sommeil depuis près d’un mois, il a quitté, le 24 juillet, l’étroite enceinte de ce port, qui, pour la première fois, a reçu une escadre de quatorze vaisseaux de ligne ; le 1er août, il arrive devant Alexandrie. Quelques heures plus tard, il est devant Aboukir. Notre escadre est mal préparée pour ce retour inattendu. Les chaloupes employées à renouveler l’approvisionnement d’eau des vaisseau sont à terre avec une partie des équipages, et des quatre frégates que possède Brueys aucune n’est employée à croiser au large pour explorer l’horizon et signaler de loin l’apparition de l’ennemi. Aussi ces deux nouvelles éclatent-elles comme la foudre au milieu de la flotte surprise : L’ennemi est en tue ! l’ennemi approche et se dirige vers la baie ! Le combattra-t-on sous voiles ? Un seul officier- général le contre-amiral Blanquet-Duchayla, émet cet avis : Dupetit-Thouars le partage ; mais une résolution contraire prévaut dans le conseil, car on craint de manquer de matelots pour manœuvrer et combattre à la fois. On se décide à attendre l’escadre anglaise. Le chaloupes sont rappelées : malheureusement l’état de la mer, l’éloignement du rivage, diverses circonstances demeurées jusqu’ici inexplicables, les empêchent pour la plupart de rallier leurs navires. Pour suppléer à l’absence d’un si grand nombre de combattans, l’amiral signale à ses frégates de faire passer une partie de leurs équipages à bord des vaisseaux.

Cependant le jour baisse. Brueys nourrit en secret l’espoir qu’il ne sera point attaqué à l’entrée de la nuit, et, si les Anglais remettent leur attaque au lendemain, l’escadre française peut être encore sauvée sans combat. Plein de cette pensée, Brueys ordonne à ses vaisseaux de gréer leurs perroquets, et médite, à la faveur de l’obscurité, un appareillage qui peut lui rouvrir la route si imprudemment négligée de Corfou. Il doit, en effet, compter sur l’apparence formidable de son escadre pour tenir les Anglais en respect jusqu’au jour. Treize vaisseaux français, dont un de 120 et trois de 80 canons, sont rangés en bataille au fond de la baie, et appuient leur avant-garde aux bancs de sable qui s’étendent jusqu’à trois milles du rivage. Quatorze vaisseaux anglais ont été déjà