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devait réunir ainsi les hommes appartenant au même navire, arriver à terre en force et débarquer d’un seul coup un détachement complet. Dès que la descente aurait été effectuée, les canots avaient l’ordre de se remettre à flot et de se tenir au large. Un capitaine de vaisseau fut spécialement chargé de faire exécuter cette partie importante des instructions de l’amiral. Avec le peu de forces dont on disposait, on ne pouvait songer à une attaque régulière, mais des échelles d’escalade avaient été disposées sous la direction même de Nelson, et il ne désespérait pas d’enlever par surprise un des forts qui dominent la ville. Le succès de cette opération dépendait entièrement d’un premier moment de terreur et d’alarme. Aussi rien n’avait-il été négligé pour rendre plus imposant l’aspect des troupes anglaises. Nelson, craignant que ses matelots, avec leurs vestes bleues et leur apparence peu militaire, n’eussent plutôt l’air d’un parti de maraudeurs que d’un corps d’armée venant assiéger une ville, avait recommandé de rassembler tous les habits rouges qu’on pourrait trouver dans l’escadre, d’en affubler autant de marins, et, pour compléter leur équipement, de simuler avec de la toile les baudriers qui leur manquaient. Entre soldats et matelots on réunit ainsi environ 1,100 hommes que Nelson plaça sous les ordres de Troubridge, ce brave commandant du Culloden que Jervis appelait le Bayard anglais, et que nous avons vu, au combat du cap Saint-Vincent, attaquer si résolument la ligne espagnole.

Le 20 juillet, traînant à la remorque toutes les embarcations de l’escadre, les trois frégates se dirigèrent vers le port de Santa-Cruz ; mais une brise très fraîche et un courant contraire s’opposèrent au débarquement. L’apparition de ces frégates avait cependant éveillé l’attention des Espagnols, et le surlendemain, quand, la nuit venue, les troupes anglaises furent mises à terre dans l’est de la ville, elles trouvèrent les hauteurs dont elles voulaient s’emparer si bien gardées par l’ennemi, qu’elles furent contraintes de se rembarquer, sans avoir fait aucun effort pour l’en déloger. Avertis comme l’étaient alors les Espagnols, il y avait plus que de l’imprudence à persister dans cette folle expédition. Nelson y crut son honneur engagé, et il résolut de diriger lui-même une troisième et dernière tentative. Le 24 juillet, à cinq heures du soir, les frégates vinrent mouiller à deux milles dans le nord-est de la ville et parurent se disposer à opérer le débarquement des troupes dans cette direction ; mais un plan plus hardi avait été conçu par Nelson, et c’était dans le port, sous la volée de 30 ou 40 pièces d’artillerie, qu’il avait donné rendez-vous à ses canots. Comptant sur la hardiesse même de ce projet pour en assurer le succès, il voulait surprendre l’ennemi en se présentant à l’improviste sur le seul point où il ne pût être attendu. La nuit était sombre et pluvieuse, le temps à grains, le vent variable et inégal. Nelson soupa avec ses capitaines à bord de la frégate le Seahorse,