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passive. La constitution vigoureuse de la flotte remplit sa carrière et occupe ses dernières pensées. Peu audacieux lui-même, il ouvre la route à l’audace. Nelson s’y précipite et vient manifester, avec la rapidité de la foudre, les résultats latens d’une double révolution. L’influence administrative, remarquons-le bien, subit plutôt qu’elle ne dirige ces transformations successives des escadres britanniques. C’est que la vie, en effet, n’est pas dans l’amirauté, elle est dans ces camps flottans où s’élaborent les succès qui vont nous surprendre. Le pouvoir officiel n’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, que le creuset inerte qui convertit les subsides du parlement en vaisseaux. Il faut donner une ame à cette flotte immense les amiraux font jaillir l’étincelle qui doit l’animer Hood, Jervis, Nelson, se transmettent rapidement le flambeau créateur se lèguent l’un à l’autre une sorte de royauté. Sous les regards défians de l’amirauté anglaise, c’est presque une dynastie qui se fonde. Les maires du palais ont dérobé le sceptre aux rois fainéans.

Au moment, où Nelson s’apprête à recueillir l’héritage de Jervis, il n’est point inutile de chercher à démêler, à travers ce nuage lumineux que la fortune jette autour de ses favoris, les lignes véritables, les traits profondément accusés de cette grande physionomie. « La forfanterie de Nelson, écrivait en 1805 l’amiral Decrès à l’empereur, égale son ineptie (et j’emploie ici le mot propre) ; mais’ il a une qualité éminente, c’est de n’avoir avec ses capitaines de prétention que celle de la bravoure et du bonheur : d’où il résulte qu’il est accessible à des conseils, et que, dans les occasions difficiles, s’il commande nominalement, c’est un autre qui dirige réellement. » C’était traiter bien rudement le plus illustre amiral des temps modernes, et pourtant cette opinion, si choquante, au premier abord, n’en contient pas moins le germé d’une opinion éclairée et comme la substance du jugement désintéressé de l’histoire. Nelson fut, sans contredit, le plus grand des amiraux anglais : un peu moins de bonheur, et ses compatriotes eux-mêmes, non moins sévères que l’amiral Decrès, de tous ces amiraux l’eussent proclamé le plus incapable. Nelson, en effet, n’a pas été moins téméraire, moins dédaigneux des règles dans les occasions où il a triomphé que dans celles où la fortune a trompé ses efforts. Entre Aboukir et Ténériffe, entre Copenhague et Boulogne, il n’y a que la différence du succès. C’est toujours la même audace, le même emportement, la même tendance à tenter l’impossible ; la tactique de Nelson, celle qu’il enseigne à ses capitaines vaincus devant Boulogne, celle qu’il a mise lui-même en pratique jusqu’à sa dernière heure, est la tout entière avec sa grandeur et ses fautes : se jeter résolument au plus fort du danger, compter sur ses compagnons pour en sortir vainqueur. Après l’avoir suivi sur le champ de bataille, après avoir étudié, dans ces grands événemens auxquels il préside, les moyens aussi bien que les résultats, on se sent porté,