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des fourches et des houlettes d’argent, des livrets sur les caisses d’épargne. La valeur intrinsèque de ces prix ne dépasse guère 50 francs, somme bien modique sans doute, mais qui équivaut, pour la plupart de ceux qui la reçoivent, à la moitié des gages d’une année. L’importance d’ailleurs n’est pas seulement dans l’argent, elle est surtout dans l’effet moral. Sur bien des points, ces encouragemens minimes ne sont pas restés stériles, les plus humbles paysans eux-mêmes ont tenté de s’associer au progrès, et dans le nombre il en est plus d’un qui pourrait prendre place parmi les inventeurs. Nous voudrions pouvoir dire que l’effet produit par ces premiers encouragemens a été continué par des récompenses proportionnées aux résultats obtenus, malheureusement il n’en a pas toujours été ainsi. Nous donnerons comme exemple un habitant de Blye (Jura) nommé Hugonnet, qui a inventé, en 1836, une charrue que les hommes spéciaux s’accordèrent à trouver supérieure à la charrue Granger. Il reçut pour unique récompense une médaille de la société d’émulation du Jura, et, quelques mois plus tard, il fut obligé de vendre sa médaille pour acheter quelques boisseaux de blé. Si nous avions à montrer ici que l’agriculture n’a point reçu tous les encouragemens désirables, il nous serait facile de multiplier les faits de ce genre.

Les sociétés et les comices ne se bornent point à publier des bulletins et à donner des prix. Quelques-unes, telles que la société de Troyes, ont établi un dépôt d’instrumens aratoires perfectionnés qu’elles prêtent aux cultivateurs pour servir de modèles ou pour faire des essais. D’autres ont des comités spéciaux qui se transportent, à certaines époques de l’année, dans les campagnes, pour visiter les exploitations les plus remarquables et les plus arriérées, signaler en même temps, les différences des résultats et combattre la routine, en faisant, pour ainsi dire, toucher du doigt les perfectionnemens. Ici on donne des primes pour l’élève des bestiaux ; on achète, pour la reproduction, des animaux de choix ; on établit, comme la société de Bourg, des fermes expérimentales, comme la société d’Angoulême, des écoles pratiques d’agriculture ; à Douai, à Metz, à Boulogne, on fonde des expositions agricoles ; enfin, dans les départemens les plus arriérés eux-mêmes règne une activité de jour en jour plus grande. Les hommes qui songent à l’avenir ont compris que c’est par une action incessante, immédiate, par des efforts de tous les instans, qu’on peut parvenir en agriculture, à réaliser quelque bien.

Les comices et les sociétés agricoles agissent donc par propagation de l’instruction, par la puissance de l’association, qui, en établissant parmi les cultivateurs un contact fréquent, leur permet d’échanger leurs idées et des éclairer par la discussion. Ces réunions agissent aussi par l’effet des encouragemens distribués dans les concours, par l’introduction des instrumens perfectionnés et des animaux de choix, par la surveillance exercée sur la culture. Partout où des hommes éclairés et actifs se sont trouvés placés à la tête de ces institutions, elles ont exercé une influence très marquée. Il faut regretter seulement que leur marche ait été bien souvent incertaine. Est-ce uniquement la faute des membres qui les composent ? Nous ne le pensons pas ; ce qui leur a manqué surtout jusqu’ici, c’est de la part du pouvoir un concours plus actif, des ressources d’argent plus étendues, et nous ne pouvons mieux faire que de répéter le jugement qu’en a porté un agronome distingué, M. Ysabeau : « Ce qui laisse le plus à désirer dans l’organisation des comices, c’est le défaut d’ensemble, l’absence