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l’emporte, et de beaucoup, sur les ouvrages de certains juges, ce qui, du reste, n’est qu’un éloge fort modeste.


IV.

Le goût des sciences naturelles s’est propagé presque autant que celui de l’érudition ; mais, par malheur, cette science est souvent considérée comme une affaire de simple agrément. On arrive aux premiers principes par les Harmonies de Bernardin de Saint-Pierre, ou les Trois Règnes de l’abbé Delille ; on prend la manie des collections pour une vocation transcendante ; on s’immobilise dans le species et le catalogue, et l’on se croit naturaliste ou géologue quand on est arrivé à classer quelques plantes dans un herbier, donner leurs noms latins aux insectes qu’on a piqués dans sa promenade. Cependant les sociétés linnéennes, de Bordeaux, de Lyon, de Normandie, l’académie des sciences de Toulouse, la société d’histoire naturelle de Metz et celle de Strasbourg ont donné en minéralogie, en zoologie, en botanique, des mémoires qui ont fixé l’attention du monde savant. La première place appartient à Strasbourg et à Toulouse, et l’on trouve dans les publications faites à Strasbourg des planches qui ne le cèdent en rien à ce que Paris a produit de plus parfait dans le même genre. La Société linnéenne de Normandie mérite également d’être distinguée, bien qu’on doive l’engager à surveiller le style de ses bulletins. Qu’elle célèbre la fête de Linnée par un banquet que toutes les sociétés linnéennes de l’Europe se font servir à la même heure, chaque année, au mois de juin, le premier jeudi après la fête de la Saint-Jean ; qu’elle fasse des herborisations instructives, et qu’elle invite les dames à embellir les excursions, rien de plus innocent ! mais ne craint-elle pas de compromettre sa dignité académique en insérant dans les comptes-rendus de ses séances qu’on y remarquait un ornithologue de Falaise, un alguenologue de Caen, un académicien de la même ville, plusieurs maires, deux procureurs du roi, un amateur anglais et d’autres personnes peu connues ? A quoi bon les tirades élégiaques sur les attractions sympathiques dont les poètes ont tant abusé ? Il nous semble qu’on aurait pu sacrifier, sans que la botanique y perdit rien, bon nombre de phrases dans le genre de celles que voici : « Quelques plantes, il est vrai, voilent du sceau du mystère le secret de leur union. Chastes et vains ménagemens ! leurs amours clandestines, sous le nom de noces cachées, viennent prendre rang au registre de la science, et la progéniture trahit bientôt le secret de la cryptogamie. » Fort heureusement, le savoir persiste souvent à travers cette phraséologie luxuriante, et la province peut citer avec honneur, parmi ses naturalistes, MM. de la Fresnaye et de Brébisson à Falaise, de la Chouquais, Eudes Deslonchamps à Caen, Quoy à Brest, Mulsant à Lyon, Macquart et Desmazières à Lille, Charles Desmoulins à Bergerac, Requien à Avignon, Alfred Malherbe à Metz, Baillon à Abbeville, Desvaux, directeur du jardin botanique à Angers et Dubreuil, professeur d’arboriculture à Rouen.

La province compte aussi quelques géologues qui s’associent avec zèle aux travaux académiques : à Bordeaux, M. de Collegno ; à Strasbourg, M. Daubrée ; à Rennes, M. Durocher ; à Mézières, M. Sauvage ; à Amiens, M. Butteux ; à Montpellier, M. Marcel de Serres, le plus fécond, le plus orthodoxe des géologues