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l’archéologie. « Chaque province, disait récemment un président d’académie dans ce langage métaphorique, qu’on réserve pour les séances solennelles, chaque province est une ruche de travailleurs qui butinent et recueillent sans relâche le miel précieux des chroniques locales. » Par malheur, les frelons sont entrés dans la ruche avec les abeilles, et si, d’une part, le niveau de l’érudition s’est considérablement élevé, de l’autre, on peut dire qu’un bon nombre d’écrivains rappellent encore cette naïve école des historiens du XVIe siècle qui attribuaient la fondation d’Amiens à Picgnon, général macédonien au service d’Alexandre, et celle de Rouen à Magus, l’un des rois mages. C’est l’ambition qui perd les conquérans ; c’est aussi l’ambition qui perd les érudits de province La petite localité dont ils étudient les annales prend à leurs yeux des proportions gigantesques. Au lieu de rester sagement dans la circonscription de leur banlieue, et d’étudier au point de vue le plus strictement local les institutions municipales et féodales, l’ancien droit, l’ancienne organisation ecclésiastique et administrative, les mœurs, le commerce, etc., ils se lancent à toute bride dans les domaines sans limites de l’histoire générale ; ils pleurent sur un pan de mur écroulé comme Jérémie sur les ruines de Jérusalem, et, entraînés par le lyrisme ou la philosophie du progrès humanitaire, ils finissent par perdre de vue la chronologie et la grammaire. Une courte station à Beaune, à Lectoure et à Pont-à-Mousson suffira pour justifier cette remarque.

Si vous, demandez à l’annaliste de Lectoure pourquoi il a écrit la monographie de sa ville, il vous répondra que « Gibbon conçut la pensée d’écrire l’histoire de Rome une fois qu’assis sur les ruines du Capitole il entendait à ses pieds le chant monotone des moines dans le temple de Jupiter, » que lui, annaliste de Lectoure, livre dans des circonstances à peu près analogues, un soir qu’étant assis dans le jardin des Pradoulins, il regardait des ruines et se disait : « Il a dû y avoir là quelque chose de monumental. » Depuis ce temps, il a nettoyé des bronzes, recousu des lambeaux de chartes. L’historien de Pont-à-Mousson ne nettoie pas des bronzes, mais il entremêle agréablement les vers et la prose. Dans un charmant vallon, dit-il,

Dans un charmant vallon,
Que la Moselle arrose,
S’étend Pont-à-Mousson,
Où le bonheur repose ;


il ne recoud pas des chartes, mais il visite les ruines des vieux châteaux et interroge l’octogénaire qui s’en va. Les dithyrambes sur la marche ascendante de l’humanité se confondent dans son œuvre avec les exclamations pindariques sur les embellissemens de l’endroit, et, dans son enthousiasme patriotique, il s’écrie : « Sois fière, ô ma ville natale, sois fière d’avoir donné à la génération naissante un pair de France, un colonel d’artillerie, et cet ingénieur décoré que le gouvernement, toujours scrupuleux et difficile dans ses choix, a placé dans un port ! » A Beaune, si on est moins naïf, on est plus pindarique encore, et voici ce qu’on lit dans l’histoire de cette ville sur la décadence de l’église : « Vieillard sur qui pesait le fardeau de huit siècles, l’église est tombée sur les échoppes, ces palais de qui n’a rien ; les planchers ont craqué ; les ossemens blanchis des fondateurs des chapelles, cadenassés dans les caveaux ténébreux, au milieu des littres