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grève, chantent parfois, comme Démosthènes quand il pérorait sur le rivage, avec des cailloux dans la bouche. Dans les recueils académiques du Midi au contraire, les vers mélodieux bourdonnent comme des essaims d’abeilles, et c’est l’académie des Jeux floraux qui a le monopole des stances harmonieuses. Pour quiconque, dans le Languedoc ou la Provence, s’occupe de littérature, le concours toulousain une sorte de pèlerinage à la Mecque, c’est là que tout poète au début fait sa veille des armes, et qu’il trouve, pour lui donner l’accolade ; des hommes qui eux-mêmes ont gagné leurs éperons dans ces tournois, M. Florentin Ducos entre autres parmi les maîtres ou les mainteneurs, et M. Théodore de Barbot, auteur d’un Poème sur la guerre des Albigeois, dont quelques fragmens ont été lus aux Jeux floraux, et dans lequel brillent de véritables beautés.

C’est surtout par les concours académiques qu’on peut juger combien est vif le sentiment poétique dans les provinces de la langue d’oc 50 odes, 19 poèmes, 23 épîtres, 50 élégies, 12 idylles et 17 ballades se disputaient, en 1840, les soucis d’or, les violettes d’argent des Jeux floraux, et les années suivantes n’ont pas été moins fécondes. En 1845, l’académie de Béziers a reçu pour sa part 84 odes, et le prix a été remporté par M Bignan, qui, tout chargé de lauriers parisiens, expédie encore chaque année des morceaux pindariques dans la province. Quelques sociétés indiquent les sujets, qui sont ordinairement empruntes à l’histoire ou à la biographie locale, aux apothéoses ou aux triomphes contemporains, c’est le Panthéon rendu aux grands hommes, la statue de Napoléon, Constantine, Isly, la civilisation de l’Afrique, l’échange des prisonniers français et arabes, on se croirait presque à l’Académie française, et bien souvent l’aréopage parisien n’a fait que reprendre en sous-œuvre les programmes départementaux, comme cela s’est vu lors du dernier concours où il s’agissait de célébrer la vapeur. Dans un grand nombre de sociétés, on laisse aux poètes une liberté, pleine et entière ; ils ne sont pas même tenus de se mettre en frais d’enthousiasme uniquement à l’occasion du concours, et on leur permet, comme à Douai, de plonger négligemment la main dans leur portefeuille pour en retirer quelques pièces oubliées, attendu que la poésie n’est pas comme la fleur qui se flétrit si elle n’est point offerte le jour où on la cueille. Le prix est ordinairement une médaille d’or de la valeur de 2 ou 300 francs, et, comme aujourd’hui ce n’est guère que de ce côté qu’on peut tirer profit des muses, des enfans perdus de la bohême parisienne formèrent le projet, il y a quelques années, d’établir un comité de rédaction poétique pour exploiter par la commandite cette tombola littéraire. Quelque contestable que puisse paraître aux yeux de certains juges la valeur des poésies académiques de nos départemens, il faut être indulgent. Si les résultats sont souvent médiocres, les intentions du moins sont excellentes, et partout, comme à Dijon, le président peut dire, en rendant compte dans la séance publique des travaux de l’année : « La poésie a toujours été dans cette enceinte ce qu’elle doit être, l’émanation d’une ame profondément sensible et amie de l’ordre et du beau. »


III.

Si les alexandrins, les stances et les strophes ont été négligés et généralement maltraités par les sociétés savantes, il n’en est pas de même de l’histoire et de