Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vite que les coups d’état du romantisme n’ont rien changé dans les habitudes poétiques des départemens. Les bardes qui pincent la corde élégiaque choisirent par exemple, pour sujet, comme à l’académie du Gard, le jeune Amant et la Pendule, et le lecteur ne peut manquer de s’associer aux sentimens du jeune amant en apprenant qu’

Un soir, attendu par Hortense,
Sur la pendule ayant les yeux fixés
Et sentant son cœur battre à mouvemens pressés,
Le jeune Alfred séchait d’impatience.

Ici nous trouvons un jeune homme qui attend sa maîtresse ; à Saint-Quentin, c’est l’Épouse stérile, tel est le titre du morceau, qui se plaint en strophes cadencées de ne pouvoir revivre dans un fils :

Revivre dans un fils, ô volupté suprême !
Un enfant !… Qui n’a point un enfant ici-bas ?
L’oiseau le plus petit, le chien, le tigre même,
Ils ont tous leur famille, et moi je n’en ai pas !…

La dame se plaint de l’indifférence de son mari :

Est-ce ma faute, à moi, si dans mon sein en deuil
Ne peut germer un fils ?…[1]

C’est surtout dans la région de l’extrême nord que Pégase est rétif et que Phébus est sourd, le nombre des poètes y égale à peine celui des Muses, et les préoccupations industrielles envahissent jusqu’au domaine de l’imagination. On adresse aux épiciers des épîtres sur le sucre, dans lesquelles on déclare au nom de la betterave une guerre implacable au roseau des colonies qu’on rend responsable de l’esclavage des nègres. Après avoir mis en relief l’influence du verre d’eau sucrée sur l’éloquence parlementaire, et par cela même sur les destinées du pays, le chantre du sucre, saisi d’un enthousiasme lyrico-industriel, s’écrie :

… Près de nos, métairies,
On verra s’élever partout des sucreries,
Vaste laboratoire où, pour le commerçant,
L’agriculteur produit tout en s’enrichissant.

Dans la Normandie, les souvenirs historiques, les traditions locales, les légendes fournissent le sujet le plus ordinaire des inspirations. Robert Wace a laissé des disciples dans le beau fief du conquérant, et les musés y sont restées fidèles à la devise du patriotisme, antique : Celebrare domestica facta. C’est peut-être dans les mémoires de l’académie de Caen qu’on trouve le plus grand nombre de vers, et, parmi, tous les poètes de la Neustrie, c’est à M. Leflaguais que revient de droit le prix d’excellence, du moins pour la fécondité.

En Bretagne, la poésie est avant tout rêveuse, religieuse, descriptive, et, par

  1. Mémoires de la Société académique de la ville de Saint-Quentin, 1834 à 1836.