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vers le même but, vers un but élevé, le perfectionnement moral, les améliorations positives, et, pour s’en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur bulletins, et leurs mémoires, de parcourir les programmes des prix, les discours prononcés dans les séances publiques que l’on compare, en effet, à trente ans de distance, les harangues académiques de la province : on sera frappé des changemens qui se sont opérés dans les idées. Sous l’empire et dans les premières années de la restauration, il suffisait, pour intéresser, de disserter sur le goût, l’indépendance de l’homme de lettres, le bonheur que procure l’étude, et l’orateur était quitte envers son auditoire quand il avait amené dans la péroraison, par des transitions plus ou moins habiles, un compliment « à ces juges gracieux, qui unissent à la délicatesse de l’esprit ces charmes heureux dont la présence embellit toutes les fêtes » Les naïvetés littéraires, les fadaises sentimentales, reparaissent bien encore ça et là, mais, en général, c’est le ton grave qui domine. On peut noter entre autres, comme exemples de sentimens généreux et de vues judicieuses, le discours prononcé, en 1835, par M. A. Passy, à l’ouverture de la session de l’Association normande, les études sur la morale sociale publiées par M. Boucher de Perthes, les comptes-rendus des séances publiques des académies du Gard et d’Amiens en 1841, et l’éloquente allocution de M. de Lamartine à ses collègues de l’Académie de Macon, dans la séance solennelle de 1838 « Vous avez senti, messieurs, disait le grand poète, que vos lumières ne vous appartiennent qu’à la condition de les répandre, et qu’élever ce qui est en bas, c’est grandir ce qui est en haut… Tout marche autour de vous. Vous arrêteriez-vous seuls ? Vous laisseriez-vous atteindre ? Non, messieurs ; hommes de loisirs, ou plutôt ouvriers nous-mêmes, mais ouvriers de la pensée et de la science, c’est à nous de participer les premiers à ce mouvement qui, s’il n’était pas unanime, deviendrait désordonné. Dans un état de civilisation où l’intelligence donne la force, on ne conserve son rang qu’à la condition de conserver sa supériorité morale ; quand l’ordre intellectuel est interverti, Je désordre n’est pas loin. Mais, sous ce rapport, vous faites plus encore pour maintenir l’harmonie sociale, vous la répandez autour de vous. Vous rapprochez, vous mettez en contact des hommes que la diversité de leur vie aurait peut-être involontairement séparés, et qui ne peuvent plus se haïr du jour où ils se sont estimés. Les mœurs de notre ville s’en adoucissent et s’en décorent. » - Ce que M. de Lamartine exprimait si bien avec l’entraînement de son beau langage, tous les bons esprits de la province le pensent avec lui, et les sociétés savantes s’efforcent de l’exécuter.

Les œuvres purement littéraires, dont nous parlerons d’abord, tiennent dans les recueils académiques une place fort restreinte. Le plus souvent même on y proteste contre les réunions qui n’ont pour objet que les simples distractions de l’esprit et qui sacrifient l’utile à l’agréable. En fait de prose, tout se borne à quelques comptes-rendus de livres envoyés par les correspondans, aux discours prononcés par les présidens dans les séances solennelles, à des dissertations sur des objets qui ont perdu depuis long-temps le privilège d’intéresser le public, et, pour ne donner qu’un exemple, nous indiquerons, dans les Mémoires de la Société des sciences, arts.et belles-lettres de l’Aube, de 1839, un long article traitant de l’influence du vin et du café sur la littérature française et sur la poésie. L’auteur, après avoir cité Ovide, Properce, Rabelais, Ronsard, Berchoux, conclut