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couverts de chaînes, pour construire le Colisée. Les idées et les croyances de la nation juive devaient recevoir encore un démenti plus cruel. Non-seulement les Juifs n’eurent pas le Messie glorieux et terrestre qu’ils avaient espéré, mais ils virent un Christ qu’ils avaient méconnu, mis en croix, proclamé comme le Messie véritable et divin, d’abord par une minorité israélite, puis par l’Orient, la Grèce et l’empire romain. Quelle révolution ! quel abîme ! Les Juifs qui s’étaient considérés comme les élus de Dieu, et que ce titre, dans leur pensée, mettait à la tête des nations, d’un coup en deviennent l’opprobre, car ce Dieu dont ils se disaient les prêtres, puisqu’ils s’appelaient un peuple sacerdotal, n’a trouvé chez eux que des bourreaux. Cette accusation, que le monde chrétien fait peser sur la nation juive, eut pour elle de terribles effets. Elle les supporta avec cette constance qu’elle avait contractée depuis long-temps à l’école du malheur, et que la religion victorieuse a qualifiée d’endurcissement. Par une de ces réactions morales que provoquent souvent les persécutions violentes, la loi de Moïse, au milieu des calamités qui en accablaient les sectateurs, était plus révérée, plus chérie que dans les jours prospères qui avaient brillé sur Jérusalem.

Cette loi est grande et belle. Nous y trouvons l’expression énergique et simple de l’unité divine et du principe du droit. Ces fondemens sont immortels, mais, lorsqu’il fallut élever l’édifice d’une religion, le génie hébraïque laissa sur plusieurs points cette œuvre incomplète. Il ne sut pas créer, à vrai dire une théologie, et fut stérile dans l’invention du culte. Le temple de Jérusalem était l’objet de la curiosité des autres peuples, qui se demandaient quelles images il pouvait cacher. Ils apprirent que l’enceinte était vide avec un étonnement mêlé de mépris. Le genre humain en masse avait plus d’imagination que le peuple juif, qui se trouvait avoir commencé une grande religion sans avoir pu la terminer. Si donc l’hébraïsme fût resté immobile et dans les conditions étroites de la loi de Moïse, il n’eût pas vu le monde venir à lui.

Comme système moral, l’hébraïsme n’était pas moins inachevé, toujours avec d’admirables rudimens. L’égalité des hommes entre eux, leur fraternité, étaient sans doute implicitement contenues dans la loi qui proclamait un seul Dieu, créateur du genre humain ; toutefois ces vérités n’étaient pratiquées, pour ainsi dire, que d’une manière avare. Entre eux, les Juifs s’estimaient frères ; mais ils avaient pour les autres hommes une dédaigneuse antipathie : l’égalité s’arrêtait aux frontières de la Palestine. Non-seulement l’immortalité de l’ame n’était pas pour les Juifs un dogme religieux, mais, dans le cercle des croyances morales, elle était l’objet des opinions les plus diverses ; elle était même signalée par une des grandes sectes de l’hébraïsme, par les saducéens, comme une altération de l’antique loi. La morale de l’hébraïsme avait