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complet et fort. Comme chez l’individu bien doué, il y a, dans toute nation qui a su devenir illustre, une réunion de qualités contraires concourant toutes au même but. C’est dans ces oppositions, dans ces contrastes, qu’éclate la vie, et les contradictions mènent à l’unité. Entre l’Égypte, la Syrie, la Phénicie, les Cananéens et les autres tribus barbares de l’Arabie, un petit peuple fut enclavé, dont les passions, l’intelligence et les aventures ont beaucoup instruit le genre humain. Il a dans son sang toutes les ardeurs du ciel embrasé sous lequel il a tour à tour dressé ses tentes et bâti des villes, il aime avec fureur tout ce qui parle aux sens, et il semblerait devoir, comme les peuples qui l’entourent, se livrer à toutes les fantaisies du symbolisme oriental ; mais il est disputé victorieusement à cet attrait par l’énergie de sa raison. Le peuple juif conçoit fortement les idées et les principes, il a dans l’esprit une puissance singulière d’abstraction qui ne ressemble pas à la subtilité du génie grec. C’est quelque chose de plus simple et de plus mâle. Il y a des momens où les grossiers besoins de son imagination et de son tempérament l’entraînent à l’imitation des mœurs et des religions étrangères : l’heure du regret, du remord, ne tarde pas à sonner. Il a des chefs qui lui font faire de ses erreurs une rude pénitence qu’il accepte, et s’il oublie parfois les devoirs, la mission que lui enseigne sans relâche la voix de son législateur et de ses prophètes, c’est-à-dire l’adoration d’un Dieu un et invisible, il finit toujours par y revenir, convaincu et châtié. Voilà donc comprise et pratiquée par tout un peuple l’idée d’un seul Dieu, au milieu même de la toute-puissance du polythéisme chez les autres nations. C’était le triomphe de l’esprit et de la raison sur l’imagination et sur les sens.

Cependant, à un peuple aussi ardent et aussi mobile, l’idée d’un seul Dieu ne pouvait être offerte comme une simple notion philosophique. Elle revêtit toutes les formes, toutes les couleurs du génie oriental, et l’imagination prit une revanche en ce point. Si le Dieu des Hébreux est le maître de l’univers qu’il a créé, il est en même temps le Dieu particulier de la race d’Abraham, qui est son peuple de prédilection et comme son patrimoine. S’il est invisible, il fait tout, il dispose de tout, il anime la nature et il constitue la loi. Ni dans le tabernacle, ni plus tard, dans le temple, il n’y aura d’image pour le représenter : dans le plus profond du sanctuaire il n’y a rien qu’un exemplaire sacré de la loi, qui est la parole de Dieu même. L’hébraïsme, et c’est là son originalité au milieu de toutes les idolâtries qui couvraient la terre, est la religion de la parole. Dieu parle continuellement à son peuple, il l’avertit, il le harangue sans relâche par des messagers célestes, par un homme privilégié qui, sous son inspiration, écrit la loi, c’est Moïse ; enfin, par des prophètes à la fois orateurs et poètes ; qui, toujours et partout, dans les prospérités comme dans l’exil, sur les rives du Jourdain