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rang des reprises qu’on va mettre à l’étude ; c’est une gracieuse manière de demander un nouvel ouvrage à l’auteur de Chatterton. M. Scribe achève une comédie en cinq actes. M. Bayard a déjà lu à ses amis deux actes sur trois d’une comédie en vers dont le sujet est, dit-on, fort heureux. M Gozlan va prendre possession de la scène pour les études de sa comédie nouvelle Les répétitions de la tragédie de M. Latour ne seront plus ralenties par la mauvaise santé de Mlle Rachel. En même temps que la Comédie-Française épuisait ses moyens de séduction auprès des célébrités, elle poursuivait silencieusement une tâche ingrate, celle de faciliter aux inconnus l’accès de la scène. Au lieu de lui reprocher avec amertume la faiblesse de plusieurs des ouvrages qu’elle a montrés depuis un an, il aurait fallu lui tenir compte des sacrifices de temps et d’argent qu’elle s’imposait pour offrir aux jeunes auteurs l’encouragement d’une première expérience. Cette libéralité a infligé aux artistes un surcroît de travail peu favorable peut-être aux progrès de l’exécution. Une cinquantaine d’actes ont été mis en scène pendant l’année dernière : ce nombre sera dépassé cette année à en juger par le labeur des premiers mois. Si la palme de l’activité était disputée entre les théâtres de Paris, elle reviendrait de droit, à la scène la plus élevée. La Comédie-Française savait bien qu’à force de solliciter les jeunes talens, elle parviendrait à faire accepter quelque nom nouveau. Le succès du Nœud gordien vient de justifier cette espérance. On peut critiquer l’œuvre de début de Mme de Casa-Major, mais il est impossible d’y méconnaître le gage d’une vocation véritable.

J’aime les drames dont l’intention peut être résumée en peu de mots. Tel est le Nœud gordien. Le marquis de Clavières, une des lumières de la diplomatie, homme aussi distingue par les qualités du cœur et de l’esprit que par le privilège de sa naissance, a épousé la fille d’un de ses amis politiques, une orpheline sans titre et sans fortune. Trois mois après son mariage, une mission l’a séparé de sa jeune femme. Pendant trois ans, Emerance est restée seule, sous la surveillance tracassière et maladroite d’une belle-mère dont elle n’est pas aimée. Si la solitude et les vagues rêveries ont des dangers, c’est surtout pour une ame naïve qui n’a pas encore conscience d’elle-même. Entre Émerance et le comte de Mauléon, les relations de voisinage ont pris peu à peu le caractère d’une intimité condamnable : des lettres ont été échangées ; une de ces lettres contient, avec un aveu d’amour, la promesse d’un rendez-vous. Le ciel, heureusement, a ramené le mari entre la faute et le crime. Emerance, désillusionnée et rendue à ses devoirs, a supplié le comte d’oublier un moment d’égarement et de lui rendre les lettres qui peuvent la compromettre. Mauléon a promis de les rapporter. Emerance l’attend avec l’impatience du prisonnier dont on doit venir briser la chaîne. C’est par cette entrevue que commence la pièce. L’introduction est, comme on le voit, vive et saisissante.

Emerance n’est encore coupable que d’une imprudence ; cependant elle en doit être punie. Les lettres fatales sont brûlées sous ses yeux : elle se croit libre, elle respire à l’aise ; mais bientôt elle comprend que l’ennemi n’est pas désarmé, que le nœud infernal est resserré plus étroitement que jamais. En revoyant son mari, Emerance a retrouvé les illusions, le saint enivrement des premiers jours de son mariage ; elle est fière de l’amour qu’elle inspire à un homme tel que M. de Clavières, elle est heureuse de l’amour qu’elle ressent pour lui ; mais, loin