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développées sur une grande échelle dans le parti libéral plus encore que dans le parti catholique, mieux pourvu d’autres ressources. Le gouvernement semble vouloir aujourd’hui revenir sur cette latitude considérable qui leur est légalement assurée : il a défendu aux fonctionnaires d’entrer dans les associations politiques. Chose singulière, il a choisi pour cette défense le moment où la plupart d’entre eux se retiraient de la société de l’Alliance, désormais dominée par la fraction radicale, afin d’en fonder une autre qui fût purement libérale et constitutionnelle. Ce que toute réaction redoute le plus, ce n’est pas l’emportement de ses adversaires exagérés, c’est la fermeté des gens raisonnables.

En Allemagne, les esprits, désabusés pour long-temps du vieux rêve de la constitution prussienne, s’attachent uniquement à deux objets : la résistance des duchés de Schleswig-Holstein en face des prétentions du Danemark, grande cause d’espoir ; le progrès souterrain des influences russes dans le duché de Posen, grande cause d’alarme.

Les états de Schleswig se sont décidément prononcés contre le droit réclamé sur eux par la couronne danoise, et cette question épineuse se charge ainsi d’une difficulté de plus, parce que ce droit n’avait jusqu’ici fait question qu’à propos du Holstein. Si le prince héréditaire n’a point enfin d’héritiers par un nouveau mariage, nous croyons toujours qu’un compromis pourra seul terminer le débat. Les Allemands des duchés sont une race d’hommes lente et patiente, mais vigoureuse ; nous doutons que la force brutale dût jamais triompher de leur opiniâtreté. Il ne faut point d’ailleurs se faire trop d’illusion sur les mobiles de toute cette effervescence ; ces libertés, propres au duché que l’on craint de voir disparaître sous le joug absolu de la monarchie danoise ce sont encore plus ou moins des privilèges aristocratiques. Ainsi, par exemple, le revenu des anciens couvens est abandonné tout entier, depuis trois siècles, à l’entretien des filles nobles, et les administrateurs qui régissent ces biens, en représentant la chevalerie allemande sous le nom de prélats, ont certainement à les défendre un intérêt plus particulier que national. Le gouvernement danois aurait déjà gagné beaucoup sur l’opposition qu’il rencontre, s’il se décidait à octroyer aux duchés des avantages moins exceptionnels que ceux pour lesquels on les soulève.

Il vient de paraître à Berlin un livre dont le titre seul explique la portée : De la Russomanie dans le grand-duché de Posen. L’auteur, M. de Breza, est peut-être d’autant plus ennemi de la Russie, qu’il est meilleur Prussien, ce n’est pas précisément être bon Polonais. Il prend pour épigraphe ces mots du comte Raczinsky : « Soyons plus savans et plus riches que les Allemands, c’est nous qui serons les maîtres de Posen. » Gouverner le duché sous l’obéissance de la Prusse, c’est un vœu bien modeste pour être national. M. de Breza dépeint d’ailleurs très vivement cette singulière réaction qui se produit en faveur des Russes, cet amour étrange de la noblesse pour un régime « qui traite les maladies politiques par la glace, et tranche dans le vif. » Il l’explique par le désir bien arrêté, chez les propriétaires polonais, de garder toute autorité sur leurs paysans, et de leur reprendre cette indépendance que leur a donnée la Prusse. Il a probablement en partie raison ; il aurait plus raison encore s’il attribuait une inclination si fatale et si bizarre à ce mortel découragement qui finit par saisir une nation trop abandonnée des autres.


V. DE MARS.