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Tout aujourd’hui doit tenir en éveil sa sollicitude, aiguillonner sa vigilance, sa fermeté, et non-seulement à l’égard de l’Angleterre, mais à l’égard de tout le monde. En ce moment, nous ne pouvons faire ni demander de concessions à personne.

La pensée de l’Europe à notre égard est pacifique, et lord Palmerston a pu s’en convaincre. Seulement, on le comprend sans peine, l’Europe observe avec curiosité comment nous saurons pratiquer une politique de réserve et d’isolement, comment nous saurons nous suffire à nous-mêmes. La question d’Espagne a trouvé les puissances résolues à garder une exacte neutralité, en dépit des ouvertures et des sollicitations de lord Palmerston : sur ce point, il y a eu accord entre les trois cours d’Autriche, de Prusse et de Saint-Pétersbourg. Le cabinet de Berlin est celui des trois qui a le plus enveloppé sa réponse de considérations et de commentaires sur le traité d’Utrecht et ses conséquences. Le langage du cabinet de Saint-Pétersbourg a été de beaucoup le plus net. Nous croyons pouvoir parler de nos relations actuelles avec le gouvernement de l’empereur Nicolas sans nous lancer dans des théories à perte de vue sur l’avenir et les avantages de l’alliance russe. Parmi les nations de l’Europe, la France n’est pas une parvenue qui ait à se jeter à la tête de personne. Toutefois nous reconnaîtrons volontiers que nos relations avec le gouvernement russe se sont améliorées. Un traité de commerce et de navigation, vient d’être conclu entre la France et la Russie ; les ratifications en ont été échangées, il y a quelques jours, entre M. Guizot et M. de Kissleff. On a pu remarquer qu’à cette occasion, pour la première fois depuis 1830, l’empereur de Russie avait décoré d’un de ses ordres un de nos grands fonctionnaires, un ambassadeur de France, M. le baron de Barante a reçu le grand cordon de Saint-Alexandre Newski,.et le roi a donné à M. de Kisseleff la plaque de grand-officier de la Légion-d’Honneur. Nous ne parlerions pas de ces distinctions, si, dans cette circonstance, elles n’avaient un sens politique en indiquant certaines dispositions de bienveillance et de courtoisie entre les deux gouvernemens. Nous aurions au surplus à signaler d’autres symptômes de rapprochement entre les deux cours. On se rappelle qu’il y a quelques mois, le grand-duc Constantin a visité l’Algérie, où il a été reçu par M. le duc d’Aumale avec la plus aimable cordialité. En souvenir de l’accueil dont il a été l’objet dans l’Afrique française, le grand-duc Constantin a envoyé à M. le duc d’Aumale une riche et nombreuse collection d’armes circassiennes ; c’est un cadeau tout-à-fait oriental.

Il ne faut pas s’étonner qu’on ait cru reconnaître l’influence de l’Autriche dans le mariage du duc de Bordeaux avec la princesse Marie-Thérèse-Béatrice de Modène, sœur aînée du jeune duc régnant. Comment croire qu’une pareille union ait été conclue en dehors des inspirations du cabinet de Vienne ? Cependant M. de Metternich a cru devoir se plaindre tout haut de n’avoir appris ce projet que fort tard : c’est seulement cinq jours avant la signature du mariage que la cour de Modène aurait fait à ce sujet une communication officielle à l’empereur d’Autriche ; tel est du moins le langage qui paraît avoir été tenu à notre ambassadeur. Il faut d’ailleurs beaucoup rabattre des magnificences de la dote si pompeusement annoncées. La princesse Thérèse n’apporte réellement au duc de Bordeaux que trois millions. Quant à l’importance politique que l’esprit de parti s’est efforcé d’attacher à ce mariage, nous ne dirons qu’un mot. En Europe, il