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personnelle et inaltérable, dont il lui donna une preuve éclatante au jour de l’adversité ; Le pape officia en grande pompe à Saint-Etienne le jour de Pâques ; son maître des cérémonies, qu’il avait amené de Rome, prétendit à cette occasion que le siége du pontife, dans le chœur de l’église, devait être plus élevé d’un degré que celui de l’empereur ; quand Joseph fut informé de ces ridicules prétentions, il se contenta de faire enlever son siége et de ne pas paraître à la cérémonie ; cet éclat ne laissa plus de doute dans le public sur le mauvais succès des négociations ouvertes. Le pape, dans une longue conférence sur les intérêts de la religion, en présence des cardinaux Hrzan, Migazzi, Marcucci, Conterini, et du prince de Kaunitz, prononça un long et savant discours où il déploya toutes les ressources de son éloquence, entassant à l’appui de nombreuses citations du droit canonique. L’empereur répondit aussitôt : « Je ne suis pas théologien, et je connais trop peu le droit canonique pour discuter là-dessus ; mais qu’il plaise à votre sainteté de me permettre par écrit les représentations qu’elle vient de me faire, afin que je les soumette à la vérification de mes théologiens ; mon chancelier y répondra catégoriquement et minutieusement, et je prétends même les faire imprimer pour l’instruction de mes sujets. »

La conduite du prince de Kaunitz envers le pape fut presque outrageantes Pie VI avait fait au ministre l’honneur de le visiter dans son hôtel ; il fut reçu avec beaucoup de faste et d’apparat, mais M. de Kaunitz avait gardé le costume le plus négligé de son intérieur, et quand le pape, au départ, lui donna sa main à baiser, le prince se contenta de la secouer avec une bonhomie affectée, en s’écriant en français. De tout mon cœur ! de tout mon cœur !… Cependant l’empressement de la foule ne diminuait pas, et le peuple pénétrait jusque dans les antichambres du pape pour baiser sa mule qui y était exposée. M. Ramshorn ajoute que le pape fit porter sa pantoufle à domicile chez tous les grands seigneurs, ce qui provoqua de trop justes railleries. Le pape resta un mois entier à Vienne, et son voyage n’eut de résultats utiles ni pour l’église ni pour l’empire. Le saint-siège y perdit quelque chose de sa dignité, et l’empereur trouva dans le clergé une résistance plus opiniâtre.

Quand Philippe II d’Espagne entreprit contre l’esprit provincial cette longue lutte dont M. Mignet a raconté avec tant de charme et de clarté les dramatiques incidens, le clergé espagnol et l’inquisition elle-même vinrent en aide au pouvoir monarchique, au principe de la centralisation. Joseph II, en entreprenant une lutte semblable, trouva dans le clergé non pas un auxiliaire, mais un ennemi, et l’influence de l’église, qui aurait été décisive sur le mouvement des esprits en Hongrie et aux Pays-Bas, si elle avait secondé les intentions de l’empereur, s’employa au contraire à les paralyser. C’est que Joseph II avait porté la main sur les privilèges du clergé et substitué l’action directe, immédiate, la surveillance incessante et sévère de l’état, à la domination ultramontaine, beaucoup moins incommode. L’église, en Autriche comme ailleurs, constituait un état dans l’état ; elle avait d’immenses richesses, la puissance des traditions, du nombre, de la discipline ; jalouse à l’excès de son indépendance, elle disputait pied a pied le terrain au pouvoir temporel. Le clergé possédait depuis des siècles la direction exclusive des esprits ; Joseph II comprit que celui qui est maître de l’éducation est maître de l’avenir, et le premier d’entre les souverains il fit valoir les droits de l’état sur l’enseignement public, et les exerça