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répandue dans le peuple ; que l’état enfin donnerait seul les dispenses pour les mariages au troisième ou quatrième degré de parenté, et autoriserait le divorce. Le célèbre édit de tolérance ouvrit aux non-catholiques, protestans grecs, l’accès de tous les emplois, et leur permit l’exercice libre et public de leur culte. On ne se contenta pas d’inscrire la tolérance dans les lois, on voulut encore la faire passer dans les mœurs. Des précautions quelque peu minutieuses furent prises pour éteindre les vieux fermens de haine religieuse, et un règlement prescrivit aux aubergistes d’interdire à l’avenir dans leurs maisons où se réunissaient aux jours de fête les bourgeois et les paysans, non-seulement toute controverse religieuse, mais jusqu’à la moindre raillerie contre un culte autorisé par l’état. Cette mesure, qui serait odieusement ridicule en France, est cependant justifiable en Allemagne, où l’influence de l’aubergiste n’est pas toujours à dédaigner. Il était donc sage d’utiliser son influence au profit des idées de tolérance, que les membres du clergé, combattaient avec acharnement.

La bienveillance paternelle de Joseph II pour tous ses sujets s’étendit jusqu’aux juifs, qui étaient encore honnis de toute la chrétienté et séparés de la société civile. L’empereur supprima leur livrée déshonorante, ce bonnet jaune qu’ils portaient alors comme au moyen-âge ; il leur permit d’exercer l’agriculture, les arts libéraux, les travaux de fabrique, le commerce en gros, toutes les professions enfin qui leur avaient jusque-là été sévèrement interdites, d’apprendre les métiers chez les maîtres chrétiens, et d’envoyer leurs enfans dans les écoles publiques et même dans les universités. La forme religieuse s’étendit plus loin encore : Joseph voulut fermer la plaie du monachisme qui dévorait ses états ; les motifs de cette mesure sont très nettement expliqués dans quelques lettres qu’il adressa aux dignitaires de l’église. Au mois de février 1781, il écrivait à l’archevêque de Saltzbourg : «  Mon prince, l’administration intérieure de mes états exige sans retard un changement radical ; un empire que je gouverne doit être régi d’après mes principes : ainsi les privilèges, le fanatisme et la servitude de l’esprit doivent disparaître, et chacun de mes sujets doit être mis en possession de ses libertés innées, de ses droits naturels. Le monachisme a envahi l’Autriche ; le nombre des chapitres et des couvens s’est accru dans des proportions extraordinaires, et jusqu’à présent, d’après les règles de ces gens-là, le gouvernement n’a eu aucun droit sur leurs personnes ; les moines sont cependant les sujets les plus inutiles et les plus dangereux d’un état, parce qu’ils cherchent à se soustraire à l’observation de toutes les lois civiles, et qu’en toute circonstance ils se tournent vers le saint-père de Rome. Mon ministre d’état le baron de Kreisel, l’illustre Van-Swieten, le prélat Bartenstein et quelques autres hommes d’une science éprouvée forment une commission établie par moi pour opérer la suppression de tous les couvens inutiles d’hommes et de femmes… Lorsque j’aurai arraché le voile qui couvre le monachisme, lorsque j’aurai banni des chaires de mes universités le tissu mensonger de leur enseignement ascétique, et que j’aurai enfin changé le moine à la vie contemplative en un citoyen producteur, alors peut-être quelques-uns de mes adversaires jugeront mieux mes réformes. J’ai devant moi une rude tâche, je dois réduire l’armée des moines et faire des hommes de ces fakirs qui voient la foule s’agenouiller avec respect devant leurs fronts tondus, et exercent sur le peuple la plus grande influence qui ait jamais été exercée sur l’esprit humain. »