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hautes connaissances gouvernementales. Kaunitz comme ministre des affaires étrangères, Hatzfeld comme ministre de l’intérieur, et plusieurs de ses ambassadeurs aux différentes cours, prouvent assez qu’elle a su distinguer, employer et récompenser le talent. L’influence exercée par les prêtres dans le gouvernement de ma mère sera l’objet de mes réformes. Je ne verrais pas volontiers des gens chargés exclusivement du soin de notre salut se donner tant de peines pour régler nos affaires temporelles. L’état financier des provinces autrichiennes réclame une meilleure organisation. Je dois changer aussi les gouverneurs des provinces… Mais tout cela est bien nouveau pour moi, il faut que je m’oriente un peu, et que j’allie au sentiment de mes devoirs une connaissance parfaite des affaires ; sans cela, je ressemblerais au Grand Turc, qui ne connaît que ses plaisirs, et ignore toutes les obligations de son rang. »

L’empereur ne se méprit pas sur l’étendue du péril ; mais, comme il était de ceux qui aiment mieux leur cause que leur vie, il apporta dans la mission qu’il s’imposait l’enthousiasme d’un croyant. Les états héréditaires de la maison d’Autriche ne constituaient pas une nation ; dispersés à tous les coins de l’Europe et dans tous les climats, depuis les marais du Danube jusqu’au sommets du Tyrol, et depuis la Flandre jusqu’à la Lombardie, chacun de ces états avait une langue et une administration distinctes. Joseph commença par supprimer les douanes provinciales ; qui isolaient les uns des autres les membres du même empire ; il divisa la monarchie autrichienne en treize gouvernemens, qui furent eux-mêmes subdivisés en cercles. Les juridictions particulières furent abolies, une cour de justice composée de deux chambres celle de la noblesse et celle de la bourgeoisie, fut érigée, au chef-lieu de chaque gouvernement. Des cours impériales de deux degrés, établies dans les grandes villes, reçurent les appels des tribunaux ordinaires, et le tribunal suprême de Vienne jugea en dernier ressort. N’entrevoyons nous pas là cette admirable organisation judiciaire dont la France se vante à juste titre ? Et peut-on se défendre d’une surprise profonde devant cette réforme qui nous paraît si simple aujourd’hui, et qui dut paraître si étrange alors ? Dès les premier mois de son avènement au trône, Joseph se hâta de supprimer la servitude féodale dans tous ses états, et les droits seigneuriaux, tels que dîmes et corvées, dans ses possessions d’Allemagne. Il ordonna qu’un cadastre fût fait avec soin, et il changea la nature de l’impôt territorial en affranchissant entièrement le paysan. Les habitans de chaque village devaient élire le collecteur des taxes, et répondre de sa solvabilité. Malheureusement ces mesures excellentes furent mal appliquées, et le nouvel impôt, inégalement réparti, excita de violentes réclamations.

Cependant le courageux réformateur allait aborder les questions religieuses toujours brûlantes. Il voulut rompre les liens de vasselage qui enchaînaient son clergé à la cour de Rome, et substituer aux influences ultramontaines une éducation vraiment nationale. Les moyens qu’il employa furent hardis et décisifs. Une série d’édits habilement motivés ordonnèrent successivement qu’aucune bulle venue de Rome ne serait valide, si elle n’était transmise au clergé par le gouvernement ; que les prêtres et les évêques prêteraient serment d’obéissance à l’état, et s’abstiendraient en chaire de toute controverse religieuse, bornant leurs prédications aux enseignemens évangéliques ; que la langue du pays serait employée pour toutes les affaires de la religion, et la Bible traduite en allemand et