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En même temps l’impératrice-mère dépêchait successivement à Joseph, pour l’engager à déposer les armes, le comte de Rosemberg et l’archiduc Léopold ; mais, l’empereur rudoya les messagers, et déclara à la face de tous qu’il trouvait honteuses les conditions proposées par sa mère, et que, si celles du roi de Prusse étaient acceptées, il ne remettrait plus le pied à Vienne et se retirerait à Aix-la-Chapelle, antique résidence des empereurs. Cependant Marie-Thérèse implorait l’intervention de la France et de la Russie ; elle écrivit à la czarine, une de ces lettres caressantes, dont la séduction était irrésistible, lui témoignant « son estime, son amitié, sa confiance et sa déférence, persuadée qu’elle ne pouvait mettre en de meilleures mains ses intérêts et sa dignité. » Malgré la résistance de Joseph II, la paix fut conclue à Teschen. L’impératrice s’en réjouit avec effusion. «  Je suis ravie de joie, s’écria-t-elle ; on sait que je n’ai point de partialité pour Frédéric, cependant je dois lui rendre la justice de reconnaître qu’il en a agi noblement. Il m’avait promis de faire la paix à des conditions raisonnables, et il m’a tenu parole. Je ressens un bonheur inexprimable de prévenir une plus grande effusion de sang. » L’empereur seul fut mécontent ; il avait rêvé d’éclatans triomphes, ou du moins une lutte toujours glorieuse avec le plus grand capitaine du siècle, mais son habile adversaire l’avait réduit à l’impuissance sans lui faire l’honneur de le combattre.

L’année suivante, Joseph, fidèle à sa passion de tout connaître, se rendit en Russie. La czarine lui fit l’accueil le plus cordial, et, vivement séduite par la franchise de ses manières et l’entraînement de son esprit, elle le proclama l’homme le plus accompli de son temps. Cette affection personnelle renoua l’alliance de l’Autriche et de la Prusse, dont les sanglantes épigrammes blessaient cruellement la cour de Saint-Pétersbourg. Cependant l’Europe, qui n’était pas accoutumée alors, comme aujourd’hui, à voir les souverains errans sur le grandes routes, s’étonnait de la remuante activité du jeune empereur ; les vieux courtisans criaient au scandale, et les politiques prudens concevaient de justes alarmes pour la paix du monde.

Joseph, en revenant à Vienne, trouva sa mère mourante, et le 29 novembre 1780 il reçut son dernier soupir. Désormais seul maître de l’empire, il touchait enfin à cette heure décisive et solennelle où les conceptions de son intelligence pouvaient devenir des réalités. Au moment d’entreprendre sa tache périlleuse, Joseph épanche sa douleur et ses espérances en deux lettres reproduites par M. Ramshorn. Il écrivait au prince de Kaunitz peu de jours après la mort de sa mère : « Jusqu’ici, je n’ai été qu’un fils obéissant, et c’est là tout ce que j’ai su être ; mais, après le coup mortel qui m’a frappé, je me trouve à la tête de mes états, et chargé d’un fardeau que je reconnais trop lourd pour mes forces. Ce qui m’encourage, c’est la persuasion que vos sages conseils allégeront pour moi cette grande et difficile tache. Dès les premiers jours de décembre 1780, il exposait au duc de Choiseul la situation exacte de l’empire autrichien, et la nécessité d’une réforme complète. « Mon ami, disait-il, l’impératrice ma mère m’a laissé un grand empire, des ministres et des généraux d’un mérite éprouvé, des sujets fidèles, et une gloire qu’il sera difficile à son successeur de soutenir. J’ai toujours eu la plus grande estime pour ses vertus, et la plus parfaite vénération pour son caractère. J’honore sa mémoire, et je n’oublierai jamais la bonté de son cœur. Dans le choix de ses hommes d’état, cette princesse a déployé de