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En 1756, la guerre recommença en Allemagne. Marie-Thérèse, qui ne s’était jamais consolée de la perte de la Silésie, ne recula pas devant une bassesse pour se venger de Frédéric. Une lettre où l’impératrice-reine, si grande par sa naissance et par ses vertus, traitait d’égale à égale avec Mme de Pompadour, l’appelant ma princesse et mon amie, détermina la résolution du cabinet de Versailles, et dans le boudoir de Babiole le plus galant des abbés et la plus frivole des courtisanes conclurent cette alliance monstrueuse de la France et de l’Autriche qui déchira l’œuvre nationale de François Ier d’Henri IV, de Richelieu et de Louis XIV, pour aboutir au désastre honteux de Rosbach et au traité de Paris, plus honteux encore.

Au bruit des armes, Joseph tressaillit dans sa solitude, et il demanda à grands cris la place qui lui était due au premier rang des armées autrichiennes ; mais son exaltation guerrière parut excessive à Marie-Thérèse. L’impératrice craignit, en favorisant ce penchant naturel, de donner à l’Autriche un de ces princes batailleurs qui hasardent sur un coup de dé la destinée des empires. Au lieu de modérer cette passion juvénile en lui donnant un légitime aliment, elle eut le tort de la comprimer violemment, et Joseph, mécontent, s’isola de plus en plus en lui-même, consumant dans l’étude cette ardeur qui n’avait pas d’emploi, méditant les problèmes les plus élevés de la politique et de la philosophie, et préparant ainsi l’œuvre qu’il devait plus tard entreprendre. Ces quelques années qu’il passa dans une sorte d’obscurité furent les plus heureuses de sa vie Joseph avait épousé à dix-neuf ans une femme digne de lui, et qu’il associait à tous ses rêves, à toutes ses espérances : « Je regrette, disait-il souvent, de ne pouvoir lui donner qu’un cœur. » Isabelle de Parme exerça une grande et salutaire influence sur le caractère du jeune archiduc : elle en adoucit les aspérités, elle en tempéra les violences ; mais elle mourut bientôt, et sa fille unique la suivit dans la tombe. Les nécessités de la politique obligèrent Joseph à épouser en secondes noces une princesse de Bavière qu’il n’aimait point, et qui mourut sans enfans Toute sa vie, il resta fidèle à la mémoire d’Isabelle qu’il appelait son bon ange.

La guerre de sept ans se termina en 1763 par la paix d’Hubertsbourg, qui conserva la Silésie à Frédéric. En vertu d’un article secret, l’archiduc Joseph fut élu sans opposition roi des Romains, et devint ainsi l’héritier légitime et nécessaire de l’empire. En 1765, François de Lorraine mourut subitement à Inspruck. François, empereur et régent d’Autriche, passa sa vie à thésauriser ; de compagnie avec quelques spéculateurs de bas étage, il entreprit les fournitures de l’armée prussienne en guerre avec Marie-Thérèse, et fut, suivant l’expression dédaigneuse de Frédéric, le banquier de la cour. On assure que sa passion des richesses l’avait entraîné à s’occuper d’alchimie ; il cherchait la pierre philosophale comme un savant du moyen-âge, et tentait, avec le miroir ardent, de tirer, des diamans d’un caillou. Joseph lui succéda en vertu de son titre de roi des Romains, et pour la première fois on vit un empereur d’Allemagne qui ne possédait pas en propre un pouce de terre. Marie-Thérèse lui donna le titre de co-régent qu’avait porté son père, mais sans lui laisser plus de puissance.

Joseph résolut alors d’employer ses loisirs à connaître l’Allemagne, l’Italie, et successivement tous les pays de l’Europe. En 1769, il visita l’Italie sous le nom de comte de Falkenstein, gardant le plus strict incognito, refusant tous