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morale et sans instruction exercent sur l’armée des trois royaumes, de la désaffection qu’ils répandent parmi les troupes, des injustices sans nombre qui sont commises, grâce à eux, par les cours martiales, l’écrivain anglais réclame, à titre de réforme préalable, la création d’un corps spécial où l’on formerait des hommes d’élite aux fonctions de sous-officiers. On suppléerait ainsi à cette insouciance profonde, à ce défaut de lumières que les chefs de corps apportent maintenant dans la promotion arbitraire de tel ou tel soldat à des grades qu’il est si essentiel de voir dignement occupés. Comme conséquence de ce premier progrès, il demande ensuite que les sous-officiers ne soient pas déclarés incapables de monter au grade supérieur. En leur ouvrant ainsi, sous telles restrictions que l’état actuel de l’armée pourrait exiger, une carrière honorable, on les relèverait de l’espèce de mépris dont ils sont l’objet ; les soldats qui les traitent en égaux s’habitueraient à les regarder comme de véritables chefs ; les officiers qui les dédaignent se devraient à eux-mêmes de ménager en eux de futurs collègues ; on y gagnerait de pourvoir plus aisément les fils des officiers pauvres, et de former à la longue une pépinière de chefs expérimentés, « au lieu de ces marmots imberbes qui viennent, au sortir de l’université, prendre le pas sur de vieux sergens aux leçons desquels ils sont cependant assujettis pendant la plus longue période de leur commandement. »

Jusque-là, l’auteur reconnaît que l’armée britannique, non encore relevée de son abaissement, doit rester sous le dur et flétrissant régime du code actuel. « Les châtimens corporels sont, dit-il, indispensables au bon ordre ; l’ignoble peine du fouet, dont on pourra restreindre l’usage à des délits d’une extrême gravité, surtout aux délits commis durant la guerre, ne saurait être supprimée sans péril. » Et cependant ici l’écrivain semble prendre à tâche de se démentir lui-même, car il convient que la flagellation, à laquelle on a cessé d’attacher une idée de déshonneur, a perdu le terrible effet que l’on espère produire sur l’esprit du soldat par la vue d’un si rigoureux supplice. Par son propre exemple, il constate que les yeux se font vite à ces sanglantes exhibitions, et l’épiderme n’est guère plus long à s’y endurcir. En voyant revenir au milieu d’eux, et partager leurs repas, leurs jeux, leurs travaux guerriers, l’homme que le cat-o-nine-tails a marqué de ses tristes empreintes, ses camarades se familiarisent avec ce châtiment, désormais réduit à une souffrance purement physique. Le stoïcisme, la bravade, s’en mêlent bientôt, et l’on applaudit ou l’on blâme, selon qu’il a bien ou mal supporté la douleur, le coupable plus ou moins robuste, plus ou moins maître de ses nerfs. Du délit, de la honte, il n’est plus question.

Quelles sont donc, à son avis, les raisons de maintenir cette humiliante pénalité, qui, selon nous, devrait être abolie, ne fût-ce que par respect pour la nation anglaise, dont elle accuse la civilisation encore