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été un monument considérable. Pour nous, nous n’avions pas à notre disposition, comme Cléopâtre, les tombes des Ptolémées. Celle où nous avons passé la nuit était plus antique, mais plus modeste ; elle sert de demeure à un paysan égyptien. Ces malheureux fellahs trouvent un avantage à choisir ce genre d’habitation ; ils échappent ainsi à l’impôt qui frappe les habitans des villages.

Grace à notre arrangement, nous laissâmes partir les voyageurs, qui retournaient dîner au Caire. Délivrés des cris et de l’importunité des Arabes seuls en présence du monument dont notre pied avait foulé la cime, dont nous avions pénétré la profondeur, nous achevâmes, en rôdant alentour, de nous faire une idée de sa masse ; c’est surtout quand on se place à un angle de la pyramide et que le regard, rasant une de ses faces, la suit jusqu’a l’autre extrémité, qu’on est frappé de l’immensité de la base.

La pierre des pyramides, dépouillées de leur revêtement, est d’un gris assez triste mais quand, aux approches du soir, colosses se peignent des nuances les plus délicates du rose et du violet, ils offrent un mélange de grace et de grandeur dont rien ne peut donner l’idée. Les teintes de l’horizon, à l’heure où le soleil se couche dans le désert, ont une finesse incomparable qui tient, je crois, à la sécheresse et à la pureté de l’air. Les tons sont d’une légèreté et d’une suavité qui rappellent, mais en l’écrasant, la manière des plus grands maîtres. La transparence aérienne ferait croire que ce n’est pas notre air grossier, mais un fluide plus pur, un éther subtil, qui baigne la terre et le ciel. Puis le soleil se couche brusquement, et tout reprend soudain la morne livrée du désert. Le soir, nous sommes allés travailler aux lumières dans un tombeau. En revenant, nous avons circulé entre les pyramides. Leurs masses, à demi noires, à demi blanchies par la lune, étaient d’un grandiose extraordinaire. Le sphinx était plus fantastique et plus merveilleux encore que le matin ; le front, inondé de lumière et le corps perdu dans les ténèbres, il était bien le père de la terreur, comme l’appellent les Arabes. Nous nous sommes endormis sous sa garde.


17 décembre.

Cette journée a été employée à parcourir les environs des pyramides. Aidé de M. Durand, j’ai estampé ou dessiné une grande partie des inscriptions funèbres tracées sur divers cercueils de pierre qu’on avait tirés d’un puits de momies et qui gisaient sur le sable. Il y avait la aussi l’effigie funèbre, en pierre blanche, d’une femme dont la mère portait un de ces noms composés qui n’étaient pas rares dans l’ancienne Égypte ; elle s’appelait celle qui donne l’or. La nature de la pierre et le type gros et court des figures sculptées sur les couvercles des cercueils me rappelaient deux sarcophages égyptiens que j’ai vus à Paris