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de ses amans une pierre pour la construire, ce qui suppose une faculté de plaire vraiment colossale ; puis cette fille de roi devint dans la tradition la courtisane Rhodope, dont on ne manqua pas de faire la compagne d’esclavage d’Ésope et la belle-sœur de Sapho, car il fallait la rattacher à des noms populaires dans les souvenirs de la Grèce. Enfin on ajouta qu’un jour à Naucratis, tandis que la belle courtisane se baignait, le vent enleva sa pantoufle et la porta au roi d’Égypte ; celui-ci, devenu soudain amoureux du pied si petit et si charmant que cette pantoufle avait chaussé, fit rechercher la jeune fille à qui elle appartenait et l’épousa. On a reconnu la première origine du dénouement de l’histoire de Cendrillon. De proche en proche nous sommes arrivés des vieilles traditions de l’Égypte aux contes pour rire et aux fables milésiennes qui amusaient les courtisanes de Naucratis.

Pour en revenir aux pyramides, on voit donc que la lecture des hiéroglyphes a pleinement confirmé le témoignage d’Hérodote, et que, grace à cette lecture, on a retrouvé écrits les noms des trois rois auxquels, d’accord en ceci avec Diodore de Sicile, il attribue l’érection des trois grandes pyramides, Chéops, Chéfren et Mycerinus Hérodote qui est si exact sur ce point, a seulement le tort de placer les trois rois beaucoup trop bas dans l’échelle chronologique, après les grandes dynasties thébaines, qui sont modernes en comparaison de ces antiques dynasties de Memphis. Évidemment il s’est mépris aux renseignemens qu’on lui a donnés, ou il a brouillé ses souvenirs de voyage.

Les pyramides ne sont point, comme l’a voulu Bryant l’ouvrage des pasteurs, c’est-à-dire de ces peuples nomades qui conquirent, vers 2,300 avant Jésus-Christ le vieil empire d’Égypte. Ces barbares n’ont élevé aucun monument ; le plus grand de ceux qu’offre l’Égypte ne saurait leur appartenir. Il serait presque aussi raisonnable de penser que les Vandales ont construit le Colisée, ou les Bachkirs l’Arc-de-l’Étoile. C’est donc à la quatrième dynastie qu’il faut laisser l’honneur d’avoir fondé ces masses impérissables. Il est difficile comme je l’ai dit, d’en placer l’origine moins haut que quatre mille ans avant Jésus-Christ. Or, ce n’est pas une civilisation dans l’enfance qui élève à une telle hauteur ces puissantes assises de pierre avec une prodigieuse régularité.

Le système d’écriture employé dans les inscriptions est entièrement semblable à celui qu’on rencontre sur les monumens des âges postérieurs. L’élément alphabétique, qui a dû prédominer avec le temps sur l’élément figuratif, s’y montre déjà dans une proportion considérable. Tout cela reporte la civilisation égyptienne, non à une antiquité démesurée, comme le voulait Dupuis, mais encore à quelques siècles avant le déluge, c’est-à-dire avant la date la plus ancienne que donnent à cet événement les divers systèmes de chronologie dont aucun d’ailleurs n’est article de foi. La conclusion est qu’il faut arriver à reconnaître,