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tracée sur la grande pyramide : des inscriptions en caractères antiques et inconnus existaient encore au moyen-âge, selon les auteurs arabes aujourd’hui on ne lit rien sur les murs des pyramides. Cette contradiction apparente s’explique facilement : il est maintenant établi que la grande pyramide était primitivement couverte d’un revêtement en pierre polie. M. Letronne a fait l’histoire des dégradations que ce revêtement a subies de siècle en siècle, et ses débris ont été trouvés près du monument même. C’est sur le revêtement de la grande pyramide, dont une partie fut détruite par Saladin et dont une partie subsistait encore au commencement du XVe siècle[1], que se lisait sans doute l’inscription rapportée par Hérodote. Probablement elle contenait autre chose que le compte des légumes consommés par les ouvriers pendant la construction des pyramides ; on devait lire le nom du roi Chéops de même qu’on lisait sur la troisième pyramide le nom du roi Mycerinus. Malheureusement, cette fois comme tant d’autres, c’est le côté puéril de la narration qui a frappé Hérodote. Une inscription plus touchante, quoique moins antique, est celle qu’un bon Allemand y lut au XIVe siècle. Ce sont quelques vers latins adressés par une sœur à son frère :


« Ô mon frère ! j’ai vu les pyramides sans toi, et triste, je t’ai donné ici ce que j’avais, des larmes. »


Ce regret envoyé à un être chéri, en présence l’un monument qu’on voudrait admirer avec lui, est un sentiment délicat et qui semble moderne.

La visite dans l’intérieur des pyramides est rendue assez incommode par les cris et les gesticulations forcenés des Arabes qui vous entraînent sur les pentes des couloirs ténébreux ; ils prennent le moment où vous êtes seul avec eux dans le sein de la montagne de pierre pour vous demander d’une voix retentissante et d’un air presque menaçant un grand cadeau : Bakchich ketir ketir. Il n’y a certes rien à craindre d’eux ; mais il est désagréable d’être poursuivi et assourdi par les bruyantes et impérieuses demandes de ces cicéroni à figure de brigands. Il faudrait du silence pour le sommeil de tant de siècles. Du reste, il y a peu d’observation à faire dans l’intérieur des pyramides. On entre dans la grande pyramide du côté nord par un corridor qui descend d’abord, puis remonte et vous conduit à la salle qu’on nomme la chambre du roi, et qui renferme un sarcophage de granit. Le travail de la maçonnerie est merveilleux, et la lumière agitée des torches est reflétée par un mur du plus beau poli. De cette salle partent deux conduits étroits qui vont aboutir au dehors : on est d’accord aujourd’hui à n’y voir que des ventilateurs nécessaires aux ouvriers pendant qu’ils travaillaient dans le cœur de la pyramide. Maillet a fait

  1. Letronne, Du Revêtement des Pyramides de Gizeh, 47.