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nos jours j’y verrais plutôt la trace d’une coutume égyptienne très innocente qui aurait consiste à jeter dans le fleuve un simulacre de la déesse Nil ; je dis la déesse parce que les monumens nous ont appris ne le Nil inférieur et le Nil supérieur étaient représentés par deux personnifications féminines.

Rien n’est plus animé que l’aspect, des rues du Caire. Imaginez trente mille personnes trottant ou galopant sur des ânes dans des rues étroites et tortueuses. On est bientôt emporté dans ce tourbillon. Assourdi par les cris des âniers et des passans, — attentif à ne pas écraser les femmes et les enfans qui sont tranquillement assis par terre au milieu de ce tumulte, à ne pas heurter les aveugles qui s’y promènent, à ne pas laisser une partie de ses vêtemens ou sa personne au milieu de la cohue qui le froisse ou le heurte à toute minute, l’étranger qui se trouve pour la première fois dans les rues du Caire est en proie à une inquiétude continuelle ; l’impression qu’il éprouve ressemble beaucoup à celle qu’on éprouverait à se sentir emporté à travers un hallier. Cependant on s’accoutume à tout, et bientôt l’on trouve très divertissant ce galop universel, ce perpétuel hourrah ; qui font ressembler toutes les promenades à une charge de cavalerie ou à une course au clocher. Rien n’est plus contraire au calme de Constantinople, quand d’un bout à l’autre de l’immense ville on traverse lentement, au pas de son cheval, une foule silencieuse : là sont des Turcs, ici des Arabes ; le contraste n’est pas plus grand entre Rome et Naples.

Cette première vue du Caire me charme ; que j’aurai de plaisir à me donner chaque jour le spectacle de ce désordre pittoresque, à visiter les mosquées, qui ne sont pas ici, comme à Constantinople, l’ouvrage des barbares Ottomans, mais le produit du génie arabe, à connaître les Français distingués que le Caire renferme, le colonel Sèves (Soliman-Pacha), Clot-Bey, MM. Linant, Perron, Lambert[1], à voir les belles collections égyptiennes de Clot-Bey, et du docteur Abbot ! Mais, avant tout, il faut aller visiter les pyramides de Gizeh : la première, au nord, est, de tous les monumens humains, le plus ancien, le plus grand et le plus simple.

Après avoir passé le Nil, nous traversons une plaine cultivée qui s’étend du fleuve au désert ; cette plaine, naguère inondée, est, maintenant très verte. Les trois pyramides de Gizeh s’élèvent à l’extrémité de la zone fertile comme d’immenses bornes pour marquer le point où la vie finit. Des bords du Nil au pied des pyramides, l’aspect et l’effet de ces monumens changent plusieurs fois : tour à tour ils semblent au-dessus

  1. J’aurai le regret de n’y pas rencontrer M. Prisse, auquel nous devons la chambre des rois de Karnac et de savantes remarques sur ce monument. Je l’ai laissé à Paris occupé à préparer une nouvelle exploration de l’Égypte à laquelle personne n’est plus propre que lui.