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pour découvrir comment Rosas a pu trouver des alliances avouées ou secrètes dans quelques gouvernemens, dans les populations surtout des autres parties de l’Amérique méridionale, et nourrir, sans qu’il y ait rien d’étrange, des rêves de conquête. La dictature de Buenos-Ayres est la plus franche et la plus énergique expression de l’américanisme, c’est le triomphe d’un sentiment qui, à des degrés divers, agite tout le nouveau monde espagnol. Dans les autres républiques, ce ne sont pas, si l’on veut, les mêmes faits, les mêmes hommes ; mais c’est au fond la même lutte entre la barbarie et la civilisation. Partout il y a un parti qui s’appuie sur les masses populaires, et dont le premier instinct est la haine de l’étranger. Cela est vrai au Mexique, et c’est le seul point clair dans l’histoire de ses révolutions. À travers les distances, Nicaragua répond aux excitations de Rosas, qui ne se sert de la presse, que pour fomenter les répugnances nationales contre l’Europe. La Gazette mercantile de Buenos-Ayres a exposé dans toute leur netteté les théories exclusives de l’américanisme, et la politique du dictateur, en est l’application non équivoque. Que Rosas, en s’appuyant sur la barbarie nationale, arrive, suivant son dessein, à reconstituer l’antique vice-royauté, ce sera une victoire qui en préparera une autre. Vienne la réalisation de la pensée favorite d’un congrès général, et le nouveau continent se trouvera engagé fatalement dans une ligue contre l’ancien monde. Les blocus se renouvelleront sans doute, comme au Mexique, dans la Plata, à Saint-Jean de Nicaragua ; mais l’américanisme ne se fait-il pas honneur de ces attaques des pouvoirs européens ? Il s’en glorifie comme d’un hommage. Un de ses griefs contre le parti de la civilisation en Amérique, c’est la prédilection de celui-ci pour l’Europe, son alliance avec les gouvernemens étrangers ; et, les réclamations de l’Europe devinssent-elles plus pressantes, plus impérieuses, il compte encore sur sa véritable patrie, le désert, où nos soldat iraient périr sans gloire, insensiblement attirés dans les solitudes et dévorés par la misère, par les fatigues, plus terribles que les batailles. Ainsi, les révolutions de l’Amérique du Sud n’ont pas atteint leur dernier période ; le drame de ses destinées nous réserve encore de nouveaux étonnemens.

Au milieu de cette incomplète et pénible élaboration sociale, on ne peut être surpris que le développement littéraire soit peu marqué, se produise surtout avec peu d’ensemble. Ce n’est pas que tout ce qui peut exciter l’inspiration manque dans ces contrées : la nature a des secrets et des splendeurs qui semblent appeler la poésie. Le ciel et la terre s’unissent pour offrir une source inépuisable de nouvelles images ; c’est un pays neuf à décrire dans tout le luxe de la jeunesse. Certes, dans la vie américaine du sud, on a pu le voir, il y a des mœurs empreintes de couleurs particulières, des types qui n’ont rien à envier à OEil-de-Faucon, à Bas-de-Cuir, au Traper, à toutes ces figures sauvages dont Cooper,