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de voir le présent. Il est impossible de trouver une génération plus raisonneuse, plus entreprenante, et qui manque à un plus haut degré du sens pratique. Arrive-t-il la nouvelle d’une victoire de ses ennemis, le bruit en est-il public et officiel, les vaincus sont-ils déjà revenus dispersés, un unitaire ne croit pas à un tel triomphe, et il se fonde sur des raisons tellement concluantes ; qu’il fait douter de ce qu’on a vu. Il a une grande foi en la supériorité de sa cause, tant de constance et d’abnégation, que ni le temps, ni l’exil, ni la pauvreté, ne pourront refroidir son ardeur… »

Cette élévation morale doit faire absoudre le parti unitaire de beaucoup de fautes, de beaucoup d’erreurs, qui naissent de son incapacité pratique malheureusement trop certaine. Voilà l’état de choses encore assez factice qui a à se préserver de l’invasion des masses, voilà la génération d’hommes, plus brillante que politique, qui est fatalement mise en présence des chefs de la campagne, bien autrement puissans par la sympathie populaire qui les soutient Il faut le dire, en effet, M. Rivadavia, le héros jusque-là de la révolution argentine, a moins de force que Quiroga à la tête de ses gauchos que Rosas surtout dans la pampa du sud de Buenos-Ayres. Le jour où ces chefs redoutés ont assez fait sentir leur influence pour qu’on les consulte, pour qu’on les appelle à donner leur avis sur l’acte constitutif de la république, ce jour-la, dis-je, la cité est démantelée, elle peut dire adieu à sa prospérité, aux bienfaits de l’ordre civil, aux avantages d’un progrès pacifique. La chute du parti unitaire est inévitable, et M Rivadavia abdique, tandis que la dictature de Rosas se prépare au détriment des autres commandans de campagne Entre ces deux élémens principaux, c’est à peine si l’on doit compter sérieusement le parti fédéral, dont l’avènement momentané au pouvoir, dans la personne de M. Dorrego, ne fait que marquer la transition de la civilisation à la barbarie. Le parti fédéral essayait une œuvre impossible : la conciliation de ces deux tendances. Par malheur, ce fut un unitaire qui précipita le dénouement par un crime ; ce fut le général Lavalle, qui, au retour de la guerre du Brésil, entreprise pour l’indépendance de l’État Oriental, s’empara du gouverneur Dorrego et le fit instantanément fusiller. Or, la balle homicide qui venait ainsi frapper le parti fédéral n’atteignait pas moins le parti unitaire, pour lequel cet acte isolé de violence a été le sujet d’amers et continuels reproches.

La dictature de Rosas, qui est sortie vivante et armée de ce tragique conflit, qui s’est fait jour à travers des complications incidentes sans nombre, et a fini par s’imposer absolument à dater de 1833, n’apparaît pas, il est aisé de le remarquer, comme un accident vulgaire, comme une de ces victoires alternatives de partis vivant dans le même cercle d’idées et ne différant entre eux que par des nuances. C’est un fait logique