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(troupes de l’intérieur), et dans l’armée des Andes qui allait révolutionner le Chili, il déserte deux fois parce qu’il y a là une autorité qui lui pèse, un habit qui l’oppresse, une tactique qui règle ses pas, tandis, qu’il lui faut la vie à cheval, la vie d’émotions fortes, de dangers imprévus ; il faut l’air et l’espace à sa fougue sauvage et indomptable. Quiroga avait une organisation capable de tous les excès, de toutes les violences. La lutte était un besoin pour lui. « Non-seulement il aimait à se battre, dit une note recueillie par M. Sarmiento, mais encore il payait pour trouver un adversaire ; il se plaisait à insulter les plus habiles. Il avait une aversion invincible pour tous les hommes convenables, pour ce qu’on nomme en langage américain la gente décente. » La note ajoute qu’il ne croyait à rien, qu’il n’avait jamais prié Dieu ; la religion est aussi une dépendance. Le jeu était une de ses passions, et elle s’était développée de bonne heure en lui. Il lui est arrivé, durant la première période de sa vie, d’être envoyé au Chili pour mener des convois, et de tout perdre, même ses chevaux, avant son retour. D’autres fois, en reprenant son vagabondage après avoir gagné quelques piastres, il s’arrêtait dans une pulperia et jouait cette petite fortune avec la même frénésie qu’il mit plus tard à jouer les doublons d’or, fruits de ses rapines. Ce qui distingue toujours Facundo, c’est l’emportement avec lequel il se livre à tous se penchans. Sa colère prenait quelquefois des proportions effrayantes ; sa voix s’enrouait, ses regards se changeaient en coups de poignard, et il ne s’arrêtait, pas même devant l’inoffensive faiblesse des femmes, des enfans ou des vieillards. Quiroga a tous les traits du gaucho malo ordinaire ; mais il a de plus que lui en même temps une persistance de volonté, un instinct de domination qui l’appellent à un plus grand rôle. Sans frein pour lui-même, il est tourmenté du besoin de commander aux autres ; il a une avidité singulière de pouvoir, de jouissances, et ne néglige rien pour acquérir le droit de tout faire. Sa supériorité, naturelle sur les hommes qui l’entourent, son aptitude à les dominer et à se mettre promptement au premier rang, se laissent voir dans toutes les situations, soit que, manœuvre encore sans gloire, à Mendoza, il se fasse le patron de ses compagnons de travail, et reçoive d’eux le surnom d’el padre, — le père, — soit que plus tard, devenu commandant de campagne, il réunisse autour de lui les bandes pastorales pour les ameuter contre les villes et s’élever par elles sur son pavois guerrier. Quiroga a plus que les habitudes vulgaires de la barbarie, il en a le génie. De là viennent sa puissance et sa réputation. Facundo était bien fait pour être le héros du désert. C’est l’idéal de la force brutale qui vient saisir l’esprit populaire. Les gauchos, dans leurs réunions de la pampa, l’admirent et le célèbrent ; le chanteur fait la chronique rimée de sa vie et de ses exploits ; il n’est pas jusqu’à l’extérieur de sa personne qui ne frappe et