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Caveaux et souterrains, grilles en fer. — Chaînes, instrumens de torture brisés. — Le Comte tient un flambeau au pied du rocher sur lequel George est debout.

LE COMTE.

Viens près de moi, je t’en supplie !

GEORGE.

Tu n’entends donc pas leurs voix ? tu n’aperçois donc pas leurs formes ?

LE COMTE.

Je n’entends que le silence de la tombe, et la lumière de mon flambeau n’éclaire qu’à quelques pieds de moi.

GEORGE.

Ils s’approchent, je les vois. L’un après l’autre ils sortent de dessous les voûtes étroites ; puis, tout au fond, ils vont s’asseoir.

LE COMTE.

Mais le vertige de la folie te saisit ; tu es fou, mon enfant. Tu veux donc m’enlever le peu de forces qui me restent ? Et cependant il m’en faudrait tant !

GEORGE.

Je vois en mon esprit leurs pâles figures, graves et sévères, se réunissant pour un jugement terrible. Le coupable s’avance déjà, morne comme un brouillard d’hiver.

CHOEUR DES VOIX.

De par le droit et la force que nous ont donnés nos souffrances, nous qui avons été enchaînés et frappés, nous que l’on a torturés, brisés sous les fers ; nous qui avons été abreuvés par le poison, enfermés, murés tout vivans dans la tombe, aujourd’hui nous sommes devenus les juges et les bourreaux ! Jugeons et condamnons, et Satan se chargera de l’exécution.

LE COMTE.

Que vois-tu ?

GEORGE.

L’accusé, l’accusé qui s’avance avec un geste suppliant.

LE COMTE.

Qui est-il ?

GEORGE.

C’est vous, mon père, c’est vous !

UNE VOIX.

Avec toi, la race damnée accomplit sa fin ; en toi, elle a résumé toutes ses forces, toutes ses passions, tout son orgueil, mais c’est pour expirer.

CHOEUR DES VOIX.

Pour n’avoir rien aimé, rien adoré que toi, que toi-même et tes pensées, tu es damné, damné pour l’éternité !

LE COMTE.

Je ne vois rien ; mais il me semble que j’entends sous terre, dans l’air, partout autour de moi, des plaintes, des soupirs et des menaces.

GEORGE.

Mais LUI maintenant lève sa tête, comme toi, mon père, quand tu es en colère ; il répond par une parole arrogante et fière, comme quand tu méprises.