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vrai, d’atténuer l’effet de la belle conduite de Nelson en remarquant qu’il s’était écarté du mode d’attaque prescrit. Par l’amiral. Cette circonstance pouvait exercer quelque influence sur l’opinion d’un chef aussi rigide que sir John Jervis, et le capitaine Calder se chargea de la signaler à son attention. « Je m’en suis bien aperçu, Calder, répondit le malicieux amiral, mais, si vous commettez Jamais une pareille faute, soyez sûr que je vous la pardonnerai aussi. »

L’annonce de cette victoire excita en Angleterre des transports universels, et cependant elle ne mérite point, selon nous, d’être placée sur le même niveau que les succès remportés sur nos flottes par lord Rodney, lord Howe ou Nelson. Les Espagnols à cette époque n’étaient déjà plus des ennemis sérieux, et le gouvernement de Madrid montra autant d’injuste sévérité envers les malheureux officiers livrés par son impéritie aux chances d’un combat inégal[1], que le gouvernement anglais témoigna de facile reconnaissance envers les vainqueurs. Sir John Jervis fut créé pair d’Angleterre et obtint les titres de baron de Meaford et comte de Saint-Vincent, avec une pension annuelle de 3,000 livres sterling. Don Josef de Cordova, malgré la magnifique défense de la Santissma-Trinidad, fut cassé et déclaré incapable, de servir. L’officier-général qui commandait sous ses ordres et six de ses capitaines partagèrent sa disgrace et éprouvèrent le même sort.


V.

Si l’Angleterre avait vu ses amiraux remporter des victoires plus brillantes que celle du cap Saint-Vincent, jamais elle ne leur dut victoire plus opportune. Menacée d’une invasion formidable, abandonnée de la plupart de ses alliés, à la veille de voir l’Autriche, la seule puissance continentale qui résistât encore à nos armes, écrasée sur le Rhin et en Italie, elle eût souscrit peut-être, sans ce succès inattendu, aux conditions de paix les plus humiliantes et les plus dures. Déjà la banque avait suspendu ses paiemens, et les fonds publics étaient tombés plus

  1. L’escadre espagnole avait à peine dans ce combat 60 ou 80 matelots par vaisseau. Le reste des équipages se composait d’hommes entièrement étrangers à la navigation, recrutés depuis quelques mois dans la campagne ou dans les prisons, et qui, de l’aveu même des historiens anglais, lorsqu’on voulait les faire monter dans le gréement, tombaient à genoux, frappés d’une terreur panique, et s’écriaient qu’ils aimaient mieux être immolés sur la place que de s’exposer à une mort certaine en essayant d’accomplir un service aussi périlleux. À bord d’un des vaisseaux capturés par les Anglais, on trouva quatre ou cinq canons, du côté où ce vaisseau avait combattu, qui n’avaient point été détapés. Que pouvaient le courage et le dévouement des officiers, leur habileté même, contre de pareilles chances ?