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bord de son vaisseau par les ordres exprès de Nelson, ne cesse de faire passer sur le San-Nicolas. Un officier espagnol se penche en dehors des bastingages et fait connaître aux Anglais que le San-Josef s’est rendu. Nelson prend possession de cette nouvelle conquête, et ajoute à ses trophées l’épée d’un contre-amiral espagnol.

Le San-Josef et le San-Nicolas furent les derniers vaisseaux dont put s’emparer la flotte anglaise. Bien que la Santissima-Trinidad eût perdu son mât de misaine et son mât d’artimon, elle continuait à combattre quand la division de neuf vaisseaux, qui n’avait pu prendre qu’une part insignifiante à l’action, s’étant élevée au vent par une longue bordée, manifesta l’intention de venir dégager l’amiral des ennemis qui l’entouraient. Cette démonstration sauva Cordova, car elle engagea l’amiral anglais à rappeler à lui ses vaisseaux. Cependant l’armée espagnole était encore dans le plus grand désordre. Si Jervis se fût alors décidé à poursuivre ces vaisseaux dispersés et démoralisés, et à les attaquer pendant la nuit obscure qui suivit ce combat, il est probable que l’horreur et la confusion inséparables d’un pareil engagement eussent, cette fois encore, tourné à l’avantage de l’escadre la moins nombreuse et la mieux disciplinée ; mais Jervis craignit de compromettre dans des engagemens partiels les vaisseaux espagnols marchaient beaucoup mieux que les siens[1], et les six vaisseaux à trois ponts qu’il comptait dans son escadre, et qui en formaient le noyau le plus redoutable, auraient dû peut-être, dans une chasse générale, être laisses en arrière Ces considérations le déterminèrent a ne point inquiéter la retraite de l’ennemi. Pour se lancer avec cette audace imprévoyante à la poursuite de 21 vaisseaux, dont la plupart n’avaient point encore combattu, il eût fallu être Nelson. Sir John Jervis n’était ni assez grand, ni assez téméraire pour cela. D’ailleurs si, après Aboukir, cette circonspection eût couru le risque d’être taxée de timidité, à cette époque, elle semblait encore trop naturelle, trop conforme aux règles et aux usages établis pour ternir l’éclat de cette brillante victoire.

L’armée espagnole, n’étant point troublée dans sa fuite, alla se réfugier à Cadix et à Algésiras, et l’escadre anglaise, suivie des quatre vaisseaux qu’elle avait capturés, après avoir réparé ses avaries dans la baie de Lagos, revint mouiller à Lisbonne.

Nelson venait enfin de trouver en ce jour une occasion digne de lui, et l’opinion publique lui décerna d’une voix unanime la gloire d’avoir

  1. On remarqua en effet que les vaisseaux capturés, bien qu’ils eussent été mâtés avec des mâts de fortune et très pauvrement armés, gagnèrent tous les vaisseaux de l’escadre anglaise, quand cette escadre rentra en louvoyant dans le Tage.