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exigeante et sévère de sur, John Jervis. La Sabine amena après une très belle défense, mais Nelson se vit bientôt oblige d’abandonner sa récente capture à une escadre espagnole qui faillit le capturer lui-même. Quelques jours après ce combat, il mouillait en rade de Porto-Ferrajo. Le général anglais qui occupait cette place ne se crut point autorisé à la quitter avant d’en avoir reçu l’ordre d’Angleterre, et Nelson dut se contenter de charger sur son escadre les munitions navales déposées, au moment de l’évacuation de la Corse, dans les magasins de l’île d’Elbe. « On voit bien, écrivait l’impétueux commodore, gêné par ces scrupules dans l’accomplissement de sa mission, que ces messieurs de l’armée ne sont pas aussi souvent que nous appelés à faire usage de leur jugement sur le terrain de la politique. » Laissant derrière lui le capitaine Freemantle, qu’il chargea de pourvoir au transport des troupes quand elles prendraient le parti de se retirer, Nelson, avec la Minerve, fit route vers le cap Saint-Vincent, que l’amiral Jervis lui avait assigné pour lieu de rendez-vous.

Le 18 janvier 1797, cet amiral appareilla de Lisbonne avec les 11 vaisseaux qui lui restaient. Il savait que l’escadre espagnole avait dû quitter Carthagène, et en se portant au cap Saint-Vincent, c’est-à-dire à l’extrémité sud-ouest de la Péninsule, il se plaçait au point le plus avantageux pour l’observer. De là, si, comme il y avait lieu de le craindre, la destination de la flotte espagnole était le golfe de Gascogne, on pouvait, avec des éclaireurs actifs, être averti de tous ses mouvemens, la harceler jusque sur les côtes de France, ou lui livrer bataille pour l’obliger à se réfugier à Cadix. C’est avec cette intention que l’amiral Jervis, au lieu d’attendre dans le Tage les renforts qui lui étaient annoncés, leur avait donné rendez-vous à la hauteur du cap Saint-Vincent, et s’empressait de s’y rendre lui-même ; mais une fatalité inexplicable semblait le poursuivre, et une ame moins ferme que la sienne eût vu dans le nouvel accident qui vint le priver de l’un de ses plus importans vaisseaux le présage infaillible de quelque immense revers. Au moment où la flotte sortait du Tage, un vaisseau à trois ponts se jeta sur le banc où avait déjà péri le Bombay-Castle, et ne parvint à rentrer a Lisbonne qu’après avoir coupé sa mâture et être resté échoué près de quarante-huit heures ; il ne restait donc plus que 10 vaisseaux de cette flotte, autrefois si fière, que Nelson s’indignait de la voir se retirer devant 38 vaisseaux français et espagnols ; mais ces 10 vaisseaux possédaient une précision de mouvemens, un ensemble et une régularité admirables, et, bien que privé du tiers de ses forces par une succession inouie d’accidens, sir John Jervis était encore rempli de confiance et marchait sans crainte à la rencontre de l’ennemi