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Blanquet-Duchayla, Dupetit-Thouars, quelques autres capitaines encore, mais en petit nombre, d’héroïques jeunes gens portes subitement aux premiers grades de leur arme, tels étaient les débris qu’avait laissés derrière elle la marine la plus éclairée et la plus brave de l’Europe. Le gouvernement modéré qui venait de succéder au comité de salut public rassemblait avec empressement ces précieux débris, et s’en servait le plus habilement possible pour étayer l’édifice chancelant sorti en quelques jours des mains des sociétés populaires.


« On s’est adressé à ces sociétés (écrivait à cette époque un citoyen courageux) pour qu’elles désignassent des hommes qui réunissent les connaissances de la marine au patriotisme. Les sociétés populaires ont cru qu’il suffisait à un homme d’avoir beaucoup navigué pour être marin, si d’ailleurs il était patriote Elles n’ont pas réfléchi que le patriotisme seul ne conduit pas les vaisseaux. On a donc donné des grades à des hommes qui n’ont dans la marine d’autre mérite que celui d’avoir été beaucoup à la mer, sans songer que tel homme est souvent dans un navire comme un ballot… Aussi la routine de ces hommes s’est-elle trouvée déconcertée au premier événement imprévu. Ce n’est point toujours, il faut bien le dire, le plus instruit et le plus patriote en même temps qui a obtenu les suffrages dans les sociétés ; mais souvent le plus intrigant et le plus faux, celui qui, avec de l’effronterie et un peu de babil, a su en imposer à la majorité. On est tombé dans un autre inconvénient : sur une apparence d’activité que produit l’effervescence de l’âge, on a donné des grades à des jeunes gens sans connaissances, sans talens, sans expérience et sans examen. Il a semblé, sans doute, que les pilotes de l’ancienne marine étaient faits pour aspirer à tous les grades ; aussi sont-ils tous placés. Eh bien ! le mérite de la très grande majorité parmi eux se borne à estimer leur route à faire leur point et à pointer leur carte d’une manière routinière… Beaucoup n’ont jamais été à portée de mettre à exécution la partie brillante du marin, la manœuvre, qui déjoue les dispositions de l’ennemi et donne l’avantage à forces égales. Qu’ont de commun avec l’art du vrai marin les canonniers, les voiliers, les calfats, les charpentiers, et on pourrait dire les maîtres d’équipage, dont la majeure partie sait à peine lire et écrire, quelques-uns point du tout ? Il y en a cependant qui ont obtenu des grades d’officiers et même de capitaines[1]. »


On peut apprécier maintenant quelle était, en 1796, la valeur réelle de forces que l’Angleterre allait avoir à combattre. Cependant, dans le premier moment d’émotion, le cabinet britannique abandonna l’offensive et sembla reculer devant cette alliance qui, si récemment encore, au mois de juillet 1779, avait rassemblé sous la conduite de M. d’Orvilliers 66 vaisseaux de ligne à l’entrée de la Manche. L’amiral Jervis reçut l’ordre d’évacuer la Corse et de sortir de la Méditerranée. Déjà la flotte espagnole, partie de Cadix dans les derniers jours du mois de septembre, avait paru devant Carthagène et y avait rallié une division de 7 vaisseaux. Elle se composait de 26 vaisseaux et de quelques frégates

  1. Document conservé au dépôt des cartes et plans de la marine.