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éclatantes, remportées coup sûr coup par l’armée d’Italie, l’étourdissent et le troublent. Que sont donc devenus et de Vins et Schérer ? Lui, qui depuis trois ans voyait deux armées de trente mille, hommes manœuvrer au pied des Alpes maritimes et se disputer quelques postes d’Albenga à Savone ; lui, à qui on affirmait récemment encore que, s’il interceptait certain convoi attendu de Marseille, il allait ramener les Français en arrière de Gênes, apprend soudain qu’ils sont à la veille d’entrer à Milan !

« Les Français (écrit-il à l’amiral Jervis) ont passé le Pô sans éprouver de résistance. Beaulieu se retire, dit-on, sur Mantoue, et Milan a présenté ses clés à l’ennemi. Où donc ces gens-là s’arrêteront-ils ? — Notre ministre à Gènes (ajoute-t-il quelques jours plus tard) m’assure que Beaulieu a encore avec lui 38,000 hommes, et il espère qu’il n’aura aucun engagement à soutenir avant d’avoir reçu des renforts. Cependant j’éprouve le regret de vous faire connaître que, de son côté, notre consul m’a envoyé une lettre ; publiée par Salicetti, dans laquelle ce dernier annonce une nouvelle défaite essuyée par Beaulieu. Ce général aurait été battu le 11 mai à Lodi et aurait laissé au pouvoir de l’ennemi son camp et toute son artillerie. C’est une histoire très mal racontée et que je serais fort tenté de mettre en doute, si je n’avais malheureusement été habitué à ajouter foi aux victoires des Français. »

Sous l’influence de ces nouveaux triomphes, les ducs de Parme et de Modène traitent avec le général Bonaparte. Le pape lui-même épouvanté songe à prévenir l’arrivée des Français à Rome : « Il leur a fait offrir, écrit Nelson à sa femme, 10 millions de couronnes pour les empêcher d’y venir ; mais ils ont exigé qu’avant tout on leur livrât, la fameuse statue de l’Apollon du Belvédère. Quelle race bizarre ! mais, il faut en convenir, ils ont fait des merveilles. »

Quoiqu’il n’y ait plus sur la côte de Gênes d’Autrichiens à assister, Nelson y commande toujours, et déjà son activité lui fournit l’occasion d’entraver les progrès de Bonaparte. Il capture devant Oneille six bâtimens chargés de canons et de munitions de guerre destinés au siége de Mantoue. Par quelques papiers trouvés à bord de ces navires, il apprend que l’effectif de l’armée française, au moment où Bonaparte en prit le commandement, n’excédait pas 30,875 hommes. « En y comprenant la garnison de Toulon et des autres points de la côte, les forces de l’ennemi, dit-il, se montaient à 65,000 hommes. Probablement la plus grande partie de ces troupes aura rejoint Bonaparte ; mais, malgré tout, il paraît que son armée n’était pas aussi nombreuse que je l’aurais pensé. »

Quel que soit le dépit que nos triomphes inspirent à Nelson, il semble que nous leur devons auprès de lui ce qu’on pourrait appeler un succès d’estime. Jamais il n’a parlé de la France avec tant d’égards. Il y a plus, il est près de revenir aux sentimens chevaleresques de la guerre de