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officiers qu’il distingua bientôt, lui étaient parfaitement inconnus quand il prit le commandement de la Méditerranée. Sobre d’éloges et de recommandations, il attendit long-temps, malgré l’estime qu’il avait conçue pour eux, avant de les signaler à l’attention de l’amirauté. « Je ne veux pas disait-il, qu’on me prenne pour un hâbleur (a puffer) comme la plupart de mes camarades ; mais, tant que de pareils officiers me prêteront leur concours, l’amirauté peut compter sur la restauration de la discipline. »

Ce dernier point était celui qui touchait le plus vivement l’amiral Jervis ; car la discipline était à ses yeux le plus sûr élément de succès, et l’on peut dire que sa vie entière a été consacrée à la raffermir dans la marine anglaise. Sur ce chapitre, ses idées étaient arrêtées depuis long-temps. Il aimait à citer cette réplique de don Juan de Langara à lord Rodney : « La discipline, milord, est tout entière dans un seul mot espagnol, obediencia ; » et pour lui en effet il n’y avait d’autre fondement possible au bon ordre que l’obéissance passive. « Quand la discipline est dans les formes, disait sir John Jervis, elle est bien près d’être dans les choses. » Aussi avait-il voulu régler entre les officiers de son escadre les témoignages extérieurs de respect et de soumission plus d’un ordre du jour avertit les jeunes lieutenans de la flotte anglaise de n’aborder leurs supérieurs, qu’en ôtant leur chapeau, et de ne point se contenter d’y porter la main d’un air de négligence. D’une politesse froide et irréprochable envers ses subordonnés, l’amiral Jervis exigeait d’eux les plus scrupuleux égards. Une consigne sévère interdisait l’accès du Victory à tout officier qui se présentait pour monter à bord de ce vaisseau dans une autre tenue que la tenue prescrite. « Ce n’est point l’insubordination des matelots que je redoute, écrivait-il à Nelson, mais les propos légers des officiers et leur tendance présomptueuse à discuter les ordres qu’ils reçoivent. Voilà le danger réel et le véritable principe du désordre. » L’amiral Jervis avait raison : la discipline de la flotte est tout entière dans celle de son état-major. En fait de subordination, l’exemple doit venir de haut, et Jervis ne l’oubliait pas. En 1798, quand il choisit Nelson pour commander l’escadre qui remporta la victoire d’Aboukir, deux officiers-généraux plus anciens que Nelson, sir William Parker et sir John Orde, servaient dans la flotte de Cadix. Ils se montrèrent profondément blessés du choix qui leur enlevait le commandement de cette escadre. « J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, écrivait l’amiral Jervis à Nelson, pour empêcher les deux baronnets de m’adresser par écrit leurs réclamations ; malheureusement pour eux, les mauvais conseils des envieux l’ont emporté sur tous mes argumens. J’attends leurs lettres, et, dès que je les aurai reçues, je les renverrai tous deux en Angleterre. » C’était en effet pour des occasions pareilles que l’illustre amiral réservait toute la fermeté de son caractère,