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et le dévouement, et cette affection, toujours active et empressée eût suffi pour lui faire pardonner bien des rigueurs. Ces sentimens tenaient même dans sa vie une plus grande place qu’on n’eût pu s’y attendre à ne considérer que l’apparence extérieure de cette nature sèche et positive, qui semblait faite pour ignorer à jamais les émotions de la tendresse. Quand Troubridge, l’ami de Nelson comme le sien, périt avec le Blenheim en revenant du cap de Bonne-Espérance il en éprouva la plus vive douleur qu’il eût encore ressentie. « O Blenheim ! Blenheim ! s’écriait-il souvent, qu’es-tu donc devenu ? Qui me rendra un autre Troubridge ? » Nul amiral n’a pris avec plus d’ardeur la défense des serviteurs de l’état contre les protégés de l’aristocratie et les honorables de la marine anglaise. « La couronne, disait-il, tient ses faveurs en réserve pour s’assurer la majorité dans le parlement, et c’est là cependant la pire espèce de corruption, car ce parlement est un monstre insatiable qu’on ne parviendra jamais à satisfaire. Que résulte-t-il de cette condescendance ? C’est qu’on ne peut songer à réduire les dépenses publiques sans s’exposer à rendre ce monstre intraitable, et que, pour lui complaire, il faut laisser dans l’oubli les hommes de mérite qui ont le tort de se trouver sans protecteurs. »

Ami politique de Fox, de Grey et de Whitbread, sir John Jervis, envoyé à la chambre des communes en 1790 par les électeurs de Whycombe, vota constamment avec les whigs jusqu’à la déclaration de guerre de 1793. Il s’était prononcé comme eux contre cette guerre inutile, impolitique et lamentable ; quand elle fut déclarée, il quitta le parlement pour y prendre une part active. Jamais, chez lui, les convictions de l’homme de parti n’ont ébranlé le dévouement de l’officier ; mais, dans l’exercice du commandement il resta fidèle aux principes qu’il avait défendus dans les rangs de l’opposition, et n’usa de son patronage qu’en faveur des officiers qui avaient su le mériter par leurs services. « Il faut que je navigue avec sir John Jervis disait le jeune Edward Berry, alors lieutenant sans avenir et quelques années plus tard capitaine de pavillon de Nelson à Aboukir. S’il y a quelque mérite en moi, c’est lui qui le découvrira. » Telle était la confiance qui attirait sous les ordres de Jervis des officiers moins effrayés de sa sévérité que touchés de l’emploi généreux qu’il faisait de sa prérogative. En 1790, quand la querelle de Nootka Sound faillit entraîner une rupture entre l’Angleterre et l’Espagne, chaque officier-général eut le droit, après le désarmement qui suivit des préparatifs demeurés inutiles, de donner de l’avancement à un midshipman. Jervis, alors contre-amiral, avait arboré son pavillon sur le Prince, de 98 canons. Le gaillard d’arrière de ce vaisseau était couvert de jeunes gens appartenant aux premières familles du royaume ; Jervis remit le brevet de lieutenant au fils d’un vieil officier sans fortune. — Nelson, Trouhridge Hallow, tous ces