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ou même d’un rhume ordinaire, il faut le contraindre à user de cette précaution. J’engage donc très sérieusement les capitaines de cette escadre à faire pénétrer cette doctrine dans l’esprit de leurs chirurgiens, qui souvent, par caprice ou par une opposition perverse à tout règlement salutaire, négligent grandement et important devoir.”

Après s’être assuré des équipages valides, sir John Jervis songea à les rendre redoutables à l’ennemi. Dès le commencement de la guerre d’Amérique, il avait compris que dans des combats d’artillerie le succès devait infailliblement appartenir aux canonniers les plus habiles. Aussi, de tous les exercices, ceux qu’on négligeait le plus a cette époque, les exercices militaires, lui semblaient-ils de beaucoup les plus importans. Il était bien certain qu’en tenant ses vaisseaux à la mer il les rendrait suffisamment marins ; mais il savait qu’il fallait plus de soin pour en faire des vaisseaux de combat « Il est du plus haut intérêt, dit-il à ses capitaines, que nos équipages apprennent à manœuvrer convenablement leurs canons : je veux donc que tous les jours, en rade comme à la mer, un exercice général ou partiel ait lieu à bord de chacun des bâtimens de l’escadre. » Cette préoccupation salutaire a toujours tenu le premier rang dans son esprit : trois fois il commanda de grandes escadres, en 1796, en 1800, en 1806, et trois fois il remit en honneur dans la marine anglaise l’exercice, toujours trop négligé, du canon. Sous ses ordres, l’escadre de la Méditerranée devint bientôt une escadre formidable : chacun y faisait son devoir. Les capitaines savaient quel chef ils avaient à satisfaire, et ne souffraient point chez leurs subordonnés des négligences dont ils eussent été les premiers responsables. « Le métier de capitaine, disait Jervis, ne doit point être une sinécure. Pour moi, le commandant d’un vaisseau est comptable de tout ce qui se passe à son bord. C’est lui qui me répond de la conduite de ses officiers et de son équipage. ». Il lui est cependant arrivé de mettre au arrêts du même coup le capitaine et l’état-major tout entier d’un bâtiment dont il avait à se plaindre, de faire imputer sur la solde d’un officier de quart négligent la réparation des avaries que le vaisseau-amiral avait éprouvées, dans un abordage ; mais, en général, ses rigueurs et ses remontrances portaient plus haut, et, passant au-dessus des officiers subalternes, allaient droit à leurs supérieurs. « Il y a bien peu d’hommes, écrivait-il au comte Spencer, premier lord de l’amirauté, en état de commander convenablement un vaisseau de ligne. Plus d’un capitaine qui a pu se distinguer dans le commandement d’une frégate se trouve, parfaitement incapable de gouverner et de diriger six ou sept cents hommes de l’espèce de ceux qui composent aujourd’hui nos équipages. »

Cette extrême sévérité de l’amiral n’éteignait ni le zèle ni l’initiative abord des vaisseaux anglais. Jervis était exigeant et inflexible, mais il aimait sincèrement les officiers dont il avait pu apprécier la capacité