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se former une idée complète et précise du talent d’André. Cette fresque inestimable réunit en effet toutes les qualités développées sous le portique de la Nunziata. Si André s’est jamais approché de Raphaël, c’est à coup sûr dans cette sainte famille, quoiqu’il n’ait pas rencontré l’élévation idéale qui distingue les vierges de l’école romaine, cependant il y a dans la madone des Servi un charme singulier dont il est difficile de se rendre compte. Un mot me suffira pour exprimer toute la vivacité de mon admiration chaque fois que j’ai revu la madone des Servi, je me suis rappelé la Vierge à la Chaise du palais Pitti.

Sous le portique de la Nunziata comme sous le portique du Scalzo, on peut suivre les progrès d’André, compter les transformations successives de son style, voir comment il s’est débarrassé peu à peu de sa timidité primitive pour arriver enfin à sa dernière manière. La vie de saint Philippe Benizj appartient à la première manière de l’auteur ; l’Adoration des Mages est écrite d’un style plus franc. Il y a dans cette page une richesse, une variété qui étonne et séduit. Malheureusement le sujet voulait de la grandeur, et l’imagination d’André devait rester au-dessous d’une pareille donnée. La Naissance de la Vierge convenait merveilleusement à la nature de son talent ; aussi cette dernière composition est-elle, de l’avis unanime des juges compétens, la meilleure, la plus complète, la plus exquise de toutes ses œuvres. Il n’y a pas un épisode de ce charmant poème qui n’intéresse par son élégance, sa naïveté ; toutes les figures ont un rôle déterminé, toutes les physionomies sont attentives. Il y a, je le confesse, dans cette page précieuse, quelques détails qui touchent à l’école flamande ; mais la grace de l’exécution rachète victorieusement cette faute, si toutefois c’est une faute dans un pareil sujet.

Ainsi, par la vérité, par la grace, André se rapproche de Raphaël. Pour se placer au même rang que le chef de l’école romaine, il lui a manqué le don de l’invention. Cependant, quoique ses ouvrages nous offrent plutôt l’imitation de la nature qu’une véritable création, il y a dans sa manière d’imiter une élégance qui n’appartient qu’à lui et qui peut, à bon droit, s’appeler originalité. C’est pourquoi André del Sarto doit être compté parmi les plus grands noms de l’école florentine.


GUSTAVE PLANCHE.