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à franchir les limites de la peinture ; en renonçant au charme et aux ressources de la couleur, il n’a pas oublié qu’il peignait pourtant, et bien lui en a pris. Il n’y a pas une muraillé de ce portique précieux qui puisse abuser l’œil du spectateur ignorant, et inviter la main crédule à palper la forme absente ; mais toutes les figures qui peuplent ce portique sont animées d’une vie si naturelle, expriment des sentimens si variés, que l’œil oublie volontiers l’absence de la couleur pour ne songer qu’à l’intérêt des scènes représentées. Il faut placer en première ligne, parmi les compositions du Scalzo deux figures allégoriques, la Justice et la Charité, qui encadrent la porte du fond. André n’a jamais rien fait de plus sévère que la Justice, de plus gracieux que la Charité. Il est impossible d’imaginer quelque chose de plus harmonieux que cette dernière figure sous le rapport linéaire. La manière simple et ingénieuse dont les enfans se groupent avec la Charité contente à la fois l’œil et la pensée. Il n’y a pas un mouvement qui trahisse l’effort ou la contrainte ; c’est une création toute spontanée qui semble n’avoir rien coûté au génie du créateur. Après avoir payé à la Justice et à la Charité un légitime tribut d’éloges, il convient d’appeler l’attention sur la prédication de saint Jean, sur la naissance de saint Jean et sur la visitation. Dans la prédication, on peut étudier la première manière d’André, simple et vraie, mais timide et quelque peu mesquine ; dans la visitation, on peut surprendre la première transformation de son style. Sa timidité s’enhardit peu à peu et déjà vise à la grandeur, sans l’atteindre pourtant. Dans la naissance de saint Jean, nous assistons une transformation plus laborieuse et plus féconde, nous voyons s’effacer les dernières traces de la timidité. Le style s’est agrandi, le contour s’est affermi, la physionomie des personnages a quelque chose de viril et de résolu. André n’a rien produit de plus savant.

On a reproché au portique du Scalzo de rappeler en plus d’un endroit la manière d’Albert Durer. On a même trouvé parmi les gravures du peintre allemand quelques figures dont André a librement profité, et qu’il a presque transcrites sur la muraille. Ce reproche n’est sans doute pas sans gravité ; cependant il ne faudrait pas en exagérer l’importance. Certes il eût mieux valu pour la gloire d’André qu’il consultât les œuvres d’Albert Durer, comme il avait consulté les cartons de Michel-Ange et de Léonard, et gardât jusque dans l’imitation une sorte d’indépendance. Toutefois le larcin commis par André perd une partie de son importance, si l’on veut bien se rappeler qu’il lui était difficile de le dissimuler, et qu’il n’a pu songer à s’attribuer l’invention des figures qu’il dérobait. A l’époque où André terminait les peintures du Scalzo, les gravures d’Albert Dürer étaient répandues à Rome et à Florence. Chacun avait en main les preuves du plagiat. André, en signant de son nom des figures déjà popularisées par la gravure, ne pouvait donc