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du talent d’André del Sarto. Sans nul doute, ces tableaux ont une véritable importance ; mais toutes les qualités qui les distinguent se trouvent avec plus d’éclat et d’évidence dans les fresques du même auteur. C’est pourquoi, sans nous arrêter aux admirables compositions d’André qui ornent la galerie des Offices, le palais Pitti et le musée du Louvre, nous nous bornerons à étudier les peintures murales qu’André a exécutées à Florence. Ces peintures réunissent en effet tous les élémens qui peuvent servir à formuler un jugement général sur le mérite de ses œuvres. Elles nous présentent d’ailleurs un autre avantage : elles nous permettent de mesurer les progrès de l’auteur et de compter en quelque sorte chacun des pas qu’il a faits dans sa carrière. André, né cinq ans après Raphaël, mort dix ans après lui, n’a rien produit qui égale en importance les chambres du Vatican ; mais, si l’on veut bien se rappeler qu’il ne disposait pas, comme Raphaël, d’une légion dévouée, si l’on veut bien ne pas oublier que, grace au caractère impérieux de Lucrezia del Fede, il a été obligé d’exécuter personnellement la plus grande partie de ses ouvrages, il faudra reconnaître qu’André, réduit à ses seules forces a su en profiter merveilleusement. L’histoire de la vie de saint Jean-Baptiste, composée pour la compagnie, ou la confrérie dello Scalzo, interrompue à plusieurs reprises, dont les différens épisodes ont été exécutés à des époques assez éloignées l’une de l’autre, est peut-être, parmi les peintures murales d’André, celle qui se prête le mieux à l’analyse des tâtonnemens par lesquels a passé son talent. Cette histoire de saint Jean-Baptiste est exécutée à chiaroscuro, c’est-à-dire en grisaille. Toutes les valeurs de ton sont représentées par le gris et le blanc. Cependant, quoi qu’en puissent penser les admirateurs passionnés de M. Abel de Pujol, je dois dire qu’André ne semble pas avoir été dominé un seul instant par le désir et l’espérance de tromper l’œil du spectateur. Il a peint le portique dello Scalzo sans essayer de sculpter un bas-relief avec son pinceau. Pour les partisans dévoués de M. Abel de Pujol, c’est sans doute une faute, et même une faute grave. Quant à moi, je confesse que je ne saurais partager leurs regrets. Il me semble que chacune des formes de l’art a ses lois, ses limites, ses conditions spéciales, et qu’elle ne peut les méconnaître, les franchir, ou les violer, sans s’exposer à de graves périls. La sculpture pittoresque et la peinture sculpturale ont à mes yeux la même valeur, c’est-à-dire une valeur fort médiocre. Je ne voudrais pas mettre Bernin sur la même ligne que M. Abel de Pujol ; cependant Bernin s’est perdu, a gaspillé des facultés précieuses en cherchant la couleur dans le marbre. M. Abel de Pujol, traité par la nature avec plus d’avarice, ne peut nous Inspirer les mêmes regrets ; mais il ne s’est pas fourvoyé moins grossièrement en cherchant avec son pinceau ce que le ciseau seul peut trouver. André, plus modeste et plus sage, n’a pas songé un seul instant