Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/587

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la réalité subissait sous la main toute-puissante du chef de l’école romaine ! Après avoir admiré, comme il le devait, la divine fantaisie qui semblait créer la réalité une seconde fois en la métamorphosant il fit un retour sur lui-même et se sentit saisi de découragement. Il mesura ses force, et comprit qu’il ne pourrait, sans folie, lutter avec un pareil adversaire. Les disciples de Raphaël traduisaient la pensée de leur maître avec une fidélité, une promptitude dont André n’avait jamais vu d’exemple, et nous ne devons pas nous étonner si l’obéissance et le dévouement de cette légion ébranla de plus en plus la confiance que pouvaient lui donner le nombre et la solidité de ses études. Malgré sa modestie, attestée par tous les contemporains qui ont vécu familièrement avec lui, il savait ce qu’il valait. Sans se comparer au chef de l’école romaine, dont il appréciait le génie mieux que personne, il comprenait pourtant que sa place n’était pas marquée parmi les élèves de Raphaël. Que faire donc au milieu de Rome, puisqu’il ne pouvait ni lutter avec le maître, ni s’enrôler parmi les élèves ? Étudier sans relâche les innombrables monumens qui l’entouraient. Il n’avait, pas d’autre parti à prendre, et ce fut celui auquel il se résigna. C’est ainsi que Vasari explique comment Rome n’a gardé aucune trace du voyage d’André de Sarto, et nous croyons que cette explication est pleine de vraisemblance et de bon sens. Nous savons qu’André était d’une nature timide ; ainsi Vasari ne dit rien qui puisse nous surprendre.

Retenu à Florence, André reprit ses études et ses travaux, et, marchant d’un pas lent, mais sûr, dans la voie qu’il s’était frayée, il a grandit son style presque à son insu. Il avait gardé dans sa mémoire l’empreinte profonde des monumens romains, et, chaque fois que se présentait l’occasion de puiser dans ses souvenirs, il traçait sans effort des lignes harmonieuses qu’il retrouvait en croyant les inventer. Quand on étudie André del Sarto dans l’ensemble de ses œuvres, on ne peut se lasser d’admirer l’agrandissement progressif de sa manière, et en même temps les points nombreux par lesquels il touche à l’école romaine. Si, au lieu de revenir à Florence, il se fût fixé à Rome, cette analogie serait devenue de plus en plus frappante ; peut-être André eût-il perdu, en vivant au milieu de l’école romaine, l’originalité qui le distingue. Il n’y a donc pas lieu de regretter son retour à Florence, car ses souvenirs n’ont pas été pour lui moins féconds que ne l’eût été le spectacle permanent des œuvres de Raphaël, et, tout en agrandissant sa manière, ils n’ont pas effacé l’empreinte individuelle de son talent. S’il se fût mis à peindre entre Jules Romain et Pierino del Vaga, il eût peut-être acquis plus de rapidité dans l’exécution, mais il est probable qu’il n’occuperait pas dans l’histoire de son art le rang glorieux que lui assignent tous les critiques éclairés.

André, pour son malheur, devint éperdument amoureux d’une