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toujours gardé dans sa manière quelque chose de mesquin. Avec le secours de Masaccio, il a donné aux têtes de ses personnages une variété, une vie dont Ghirlandajo ne pouvait lui fournir le modèle. Tous ceux qui ont étudié attentivement la chapelle du Carmine, tous ceux qui ont pris soin de comparer l’œuvre de Masaccio à l’œuvre de son maître Panicale, comprendront sans peine la vérité de ce que j’avance. Le voisinage de Masolino Panicale relève, en effet, singulièrement le mérite de Masaccio. En comparant le style du maître au style de l’élève, André del Sarto a dû être saisi d’une joie singulière, et se dire qu’il avait trouvé sa voie. Si, au lieu d’étudier d’abord la chapelle du Carmine, il eût consulté les premiers ouvrages de Masaccio, tels, par exemple, que la chapelle eussent de Saint-Clément à Rome, ses tâtonnemens eussent été plus nombreux, car à Saint-Clément Masaccio n’est pas très supérieur à Masolino. Ce fut donc pour André del Sarto un bonheur inestimable de pouvoir étudier le talent de Masaccio parvenu à sa maturité. Quoique les figures de Masaccio aient quelque chose de sauvage, si on les compare aux figures d’André, qui ont presque toujours une expression de douceur et de bonté, cependant, malgré cette différence, que, je ne songe pas à contester, je crois que nous devons à la chapelle du Carmine la meilleure partie du portique de la Nunziata.

Tandis qu’il étudiait chez Pier di Cosimo, André s’était lié d’amitié avec Franciabigio, élève d’Albertinelli. Bientôt ils se logèrent ensemble, et quittèrent leurs maîtres pour étudier plus librement. À cette époque, les cartons de Michel-Ange et de Léonard de Vinci attiraient à Florence un grand concours d’étrangers. Ces deux ouvrages, malheureusement perdus aujourd’hui, furent pour André et Franciabigio un digne sujet d’émulation et d’étude. Toutefois il est permis de penser qu’André dut consulter le carton de Léonard plus souvent que le carton de Michel-Ange, car sa manière s’accordait mieux avec celle du Vinci qu’avec celle du Buonarroti. La science prodigieuse de Michel-Ange devait le frapper de stupeur, mais elle ne pouvait le détourner du culte de la beauté, et, malgré son admiration sincère pour le savoir pris en lui-même, André devait trouver dans le style de Léonard un attrait plus puissant. Quoi qu’il en soit, c’est dans l’étude attentive de ces deux cartons incomparables, au dire de tous les contemporains, que l’élève de Gian Barile, de Pier di Cosimo, puisa les derniers élémens du style qui assure à ses ouvrages une légitime durée. On voit qu’André ne négligeait aucune source d’enseignement ; il ne croyait jamais en savoir assez, et, avant de traduire sa pensée, il voulait connaître à fond tous les mystères de la langue qu’il avait choisie. Aussi, quand il se mit à parler cette langue qu’il avait étudiée avec tant de persévérance, il n’éprouva ni embarras ni contrainte. C’est un exemple qui mérite d’être propose a ceux qui veulent obtenir une véritable renommée au lieu d’un